Quarante ans donc d’idéologie de « dégraissage » et de « déficit zéro » accompagnée d’un mépris des populations ciblées (n’est-ce pas un mot plus approprié à la chasse?) par les mesures d’austérité.
Des mots et des réalités, des mots qui déforment les réalités, des mots de novlangue qui nous empêchent de penser, de critiquer. Des mots comme « employabilité », par exemple? Eh oui, le ministre actuel de l’Éducation, M. Jean-François Roberge, a osé utiliser ce terme en pleine crise sanitaire, alors que ses impacts sur l’économie réelle se traduisent par des pertes d’emplois.
Éduquons donc notre ministre de l’Éducation en lui rappelant que les pertes d’emplois en cette période de pandémie sont pour la plupart directement liées à la fermeture de l’économie et aux mesures sanitaires, et non pas à cause d’une perte d’employabilité. Faire porter de cette façon ne serait-ce qu’une partie de la responsabilité du chômage par des personnes qui ont perdu leur gagne-pain est inacceptable. Mais soyons réalistes et quelque peu généreux, il semble plutôt que monsieur Roberge utilise la novlangue néolibérale sans vraiment en comprendre la teneur.
Quant est-il dans le domaine de la santé? Et bien, en santé, là aussi, nous sommes passés du dégraissage au délestage au fil de ces quarante ans. Bien avant la COVID, nous n’arrivions pas à soigner correctement tout le monde. Bien avant la COVID, nos CHSLD avaient des allures de mouroirs. Bien avant la COVID, nos gouvernements successifs avaient délesté d’une bonne partie de son financement le volet santé mentale.
Le gouvernement actuel continue d’emprunter ce même chemin de centralisation et de coupures sans même consulter les personnes concernées par ces enjeux. Qu’arrivera-t-il au Centre d’excellence en santé mentale du Québec dont nous apprenions la fermeture – « la réorganisation », selon le ministre délégué, M. Lionel Carmant – à la fin janvier 2021 ?
Mais qu’avons-nous donc fait des leçons tirées de la Deuxième Guerre mondiale? Permettez-moi une longue citation du juriste Français Alain Supiot, extraite de son livre L’esprit de Philadelphie : la justice sociale face au marché total, paru aux Éditions du Seuil en 2010 :
Les propagandes visant à faire passer le cours pris par la globalisation économique pour un fait de nature, s’imposant sans discussion possible à l’humanité entière, semblent avoir recouvert jusqu’au souvenir des leçons sociales qui avaient été tirées de l’expérience des deux guerres mondiales. La foi dans l’infaillibilité des marchés a remplacé la volonté de faire régner un peu de justice dans la production et la répartition des richesses à l’échelle du monde, condamnant à la paupérisation, la migration, l’exclusion ou la violence la foule immense des perdants du nouvel ordre économique mondial. La faillite actuelle de ce système incite à remettre à jour l’œuvre normative de la fin de la guerre, que la dogmatique ultralibérale s’est employée à faire disparaître. Ce livre invite à renouer avec l’esprit de la Déclaration de Philadelphie de 1944, pour dissiper le mirage du Marché total et tracer les voies nouvelles de la Justice sociale.
Redonnons vie ensemble aux mots de justice, d’équité, d’égalité, de liberté et de solidarité. Oui, soyons solidaires plus que jamais en ces temps où la pandémie éclaire d’une lumière crue, sans fard, les violences des inégalités et injustices sociales.
Travaillons à rebâtir et améliorer notre filet social composé de programmes et services sociaux. Il faudra plus qu’une Journée mondiale pour la justice sociale, bien entendu.
L’avenir sera fait des luttes que nous mènerons ensemble, où il sera « dégraissé » et « délesté » d’humanité par l’agir politique et économique de ceux et celles que l’idéologie néolibérale aveugle au point de réduire nos vies à des statistiques.