“La fièvre, à ce que l’on dit, nous délivre des puces, et l’infortune de nos amis.”
De Paul-Jean Toulet, Les Trois Impostures
C’est étrange. Je me suis tapé quelques épisodes d’une série télé, une série vue dix fois, pour chasser l’ennui. J’ai lu quelques livres récemment. Je dois admettre que la vieillesse a ça de con que je vois moins bien les mots et, par conséquent, je saisis mal les idées. J’ai été un lecteur, jadis. Ces temps-ci, les écrans dominent ma vue et une dépression sévère ajoute à mon isolement.
J’ai appelé Doc :
– Comment vas-tu toi ?
– Je me sens comme de la boule à mites.
– C’est quoi dont de la boule à mites ?
– Ca pue.
– Sinon, du neuf ?
– Non.
– Ça fait deux mois qu’on ne dit rien quand on jase, rien, vraiment ?
– Je m’ennuie des marchés-aux-puces ! J’ai senti ce petit truc dans la voix qui suggère une émotion sincère.
– Pourquoi Doc ?
– T’as déjà été aux marchés aux puces toi ?
– Ben oui ! C’était une activité familiale le dimanche.
– Ca remplaçait la messe ?
– Aucune idée, on n’allait pas à la messe…
– T’aimais ça ?
– C’est loin Doc dans ma tête, mais oui, j’ai des bons souvenirs : la barbe-à-papa, la musique country, ces gens tellement désinhibés qui clament de l’amour à chaque table du marché aux puces. Doc, je m’ennuie de ça. Dollorama a tout gâché. Mais Doc, c’est moi qui écrits la chronique, tu sembles vouloir jouer mon personnage ? Pourquoi pas !
– Et toi, Michaël, pourquoi es-tu si nostalgique des marchés aux puces ?
– Parce que ça a été ma première expérience comme commerçant.
– Ca a été aussi ma première expérience familiale en affaires.
Doc
– Donc tu nous révèles une chose : tu es issu des marchés aux puces ?
– Si on veut, oui.
– Ici, on t’a cru issu d’une aristocratie, d’une noblesse, d’une bourgeoisie totale et élémentaire.
– Doc, si c’était le cas, je ne pourrais pas échanger avec toi.
– Je serais occupé à défendre Voltaire et Céline.
– On me demanderait des comptes. – Dans un monde liberticide, je serais condamné.
– Je m’occupe à défendre la liberté de penser.
– Je l’écris ici. Je te l’écris tous les jours.
– Penser, c’est un sport.
– Les marchés aux puces obligent à penser, très serré.