“Les seuls amis dignes d’intérêt sont ceux que l’on peut appeler à quatre heures du matin.” – Marlene Dietrich
C’est Doc qui m’a invité au Café Éluard. On s’est trompé de jour, la porte barrée et les stores tirés, on eut dit que notre estaminet du coin a rendu l’âme. Pour peu qu’il y ait de l’âme dans le secteur. Du moins, des âmes qui ne sont pas des succédanés tièdes au photomaton. Cela dit, on a pris notre courage à deux pattes et on a quadrillé le Vieux comme un Hérode aristotélicien nostalgique de la promenade éclairée.
Pendant cette lumineuse marche diurne, on a épilogué du Désert rouge d’Antonioni, surtout de Monica Vitti, sublime actrice parmi les Saintes du réalisme italien ; Doc m’a dit sa fascination pour les blondes dans des films en noir et blanc. Ça a piqué ma curiosité, en effet, sinon la coupe afro blonde de Marlene Dietrich dans Blonde Venus, un film de Sternberg de 1932, je n’ai pas souvenir des blondes dans le cinéma sans couleur. L’esthétique de Doc est très daltonienne…
On a passé l’Hôtel Fermont pour attraper la Terrasse. Sur le banc public, pas de passant avec des regards fliques. On a fixé le Fleuve en contrebas, contemplé l’usine Ultramar au loin et, soudain, j’ai eu cette idée merdique :
– Doc, on descend la falaise ?
– J’aime mieux descendre un blanc sec.
– Bonne idée !
Avec notre courage, on a glissé sur Cartier. La SAQ offre des rabais ces temps-ci, on a profité du moment pour réfléchir à Steinbeck. Lui a préféré Les Raisins de la colère, moi Viva Zapata!, ouvrage adapté à l’écran par Elia Kazan dont Brando prête le rôle au personnage de Pancho Villa. On a acheté de la téquila et un vin d’Ardèche, un chardonnay bien titré : Blonde 2019.
Sur le trottoir, Doc m’a demandé si je suis blondophobe ?
– As-tu peur des blondes où tu as simplement des préjugés au sujet des blondes ?
– Pourquoi cette question Doc ?? – Chaque fois que j’avance un sujet avec une blonde, tu sembles détourner la discussion.
– Nenon, tu paranoïes.
– Tu sais, le préjugé est une ignorance.
– Pas à moi Doc, j’ai la faculté de juger. – Les blondes t’ont fait quoi ?
– Doc…
Voilà, il a déterré par son immense perspicacité un trouble refoulé, oublié, voire inexistant, chez moi. Il a fendu trois kilomètres sur le sujet, nous arrivions aux Bois de Coulonge :
– Tu sais mon ami, ça se soigne en thérapie cognitivo-comportementale.
– Quoi ? De quoi ?
– Ta blondophobie crisse !
– Mais, mais, de quoi parles-tu ?
– N’essaie pas avec moi, je suis docteur.
– Radié d’office. – Docteur malgré tout.
– Docteur de mes fesses, oui.
– Tu es Doctoraphobique en plus ?
– … oui.
– Il est temps d’entamer la téquila !
– ¡Salud, cuñada!
– C’est ça, bois.
C’est en se promenant dans les bois de Coulonge qu’on a pu descendre la falaise. Pas mince affaire, car la téquila a un peu scrappé notre courage à pattes. J’ai réfléchi à mes nouvelles phobies, selon Doc, il n’a pas tout à fait tort : – Doc, t’as raison sur le fond. – De quoi, dont ? – Ben, mes phobies ! – Ah oui, j’oubliais… – Je préfère la IPA et les Docteurs doctorants… aux médecins.