Il y a actuellement au Québec, dans le discours public sur la pandémie et le confinement, une série d’oublis passablement inquiétants qui font fi de valeurs comme l’égalité et la liberté, pourtant au fondement de la démocratie. Et qui disent beaucoup sur une des tendances qui hantent nos sociétés contemporaines : la croissance des contrôles sociaux et de l’autoritarisme politique.
Il est vrai que cette pandémie qui nous assaille depuis plus d’un an, avec ses vagues montantes et descendantes, ses hauts et ses bas, ses pics et ses accalmies a de quoi nous bousculer et nous désorienter, annonçant à sa manière une nouvelle ère, une sorte de reconfiguration des forces sociales et politiques en présence, faisant que dorénavant, il y aura dans nos vies « un avant » et « un après » de la pandémie.
On n’insistera cependant jamais assez sur ce constat : si, en présence de variants et en l’absence de vaccins efficaces, le confinement reste la seule manière (il est vrai bien primitive!) de se protéger contre le virus, il est malheureusement en même temps une arme de désintégration massive; une arme qui détruit autant la dimension sociale de l’être humain (son besoin d’être en lien avec d’autres, de communier à plusieurs, etc.) que les efforts des classes populaires et subalternes pour se faire entendre des puissants de ce monde.
En effet, en nous forçant à nous séparer les uns des autres, à marquer nos distances vis-à-vis d’autrui, à nous refermer sur nos petites bulles familiales élémentaires, le confinement est un oiseau de malheur pour ceux et celles qui aspirent à « un autre monde possible ». Tous les liens sociaux à travers lesquels nous pouvions acquérir collectivement de la force et nous faire entendre auprès des pouvoirs en place, se voient ainsi réduits à portion congrue. Faisant que dans les faits, il n’existe plus comme telle d’opposition, ou si peu et si superficielle ou fragmentée ! Et même si la communication zoom a pris le relais, ce n’est là qu’un bien pâle substitut à ces forces collectives que nous aurions besoin de réanimer, à cette nécessité de « faire corps ensemble ».
Ce n’est pas pour rien que, même si elles se sont données de manière éclatée, les seules récriminations d’importance qui se sont levées à l’encontre du gouvernement, sont venues des travailleuses et travailleurs de la santé (les infirmières) et de l’éducation (les enseignants), mais aussi du monde de la culture et du spectacle (les artistes). Car au-delà de leurs demandes touchant à une amélioration de leur rémunération, les uns comme les autres -de par leur profession même mais aussi de par leur position sociale subalterne- ne pouvaient qu’être préoccupés par la question du « prendre soin », et de tout ce qui a à voir avec la «sociabilité humaine » ainsi qu’avec le partage de cette culture commune qui nous constitue ensemble comme « société ».
Bien sûr, il y a eu aussi les oppositions de ceux qu’on appelle les complotistes. Mais, s’ils ont raison de dénoncer la désappropriation politique dont nous sommes l’objet (la disparition de certaines libertés individuelles via le couvre-feu et les décrets d’urgence sanitaire, etc.), ils se trompent totalement de cible, en niant l’existence du coronavirus, en dénonçant la nécessité de porter le masque ou encore de s’astreindre aux mesures de distanciation sociale.
Car s’il y a une critique à faire au gouvernement de la CAQ, celle-ci ne devrait pas porter sur la nécessité de se protéger d’un virus qui malheureusement n’existe que trop (voir le sort du patron du Mega Fitness Gym de Québec, maintenant aux soins intensifs!). Elle devrait plutôt porter sur la manière de penser cette protection.
On ne le dira jamais assez : les dirigeants de la CAQ, de par leur conservatisme et néolibéralisme affichés, sont prisonniers d’un discours biomédical réducteur, qui les a amené par le passé à cautionner des coupes massives dans les hôpitaux et généralement dans le domaine social, et qui aujourd’hui les fait pencher vers des mesures de gestion autoritaire de la pandémie.
C’est ainsi qu’ils sont restés à la merci des grandes multinationales du médicament dont ils ont encouragé le monopole au nom du libre-marché, alors qu’ils auraient pu stimuler la création de groupes pharmaceutiques québécois indépendants (comme Pharma Québec).
C’est ainsi qu’ils ont encouragé la privatisation dans la santé et mis la hache dans les CLSC et la perspective d’une médecine préventive et communautaire faisant du « patient-citoyen » l’agent principal de sa santé. C’est ainsi qu’ils ont privilégié les mesures répressives au détriment d’une approche collective de prévention et de détection (masques efficaces, multiplication des tests de dépistage, ventilation dans les écoles, etc.) s’appuyant sur les recommandations des acteurs et actrices du milieu.
C’est ainsi qu’ils ont utilisé le couvre-feu, comme une « mesure spectacle » pour donner l’impression de fermeté, alors que rien ne prouve scientifiquement son efficacité, et qu’ils n’hésitent pas à passer des amendes salées dont ce seront les gens les plus appauvris qui feront comme toujours d’abord les frais.
Il y a pourtant en cette période de pandémie, de multiples insatisfactions qui sourdent de la société entière et qui, impuissantes et dispersées, n’attendent que l’occasion de trouver la forme à travers laquelle se faire enfin entendre.
Trouver alors à l’encontre du néolibéralisme biomédical et autoritaire de la CAQ, ce qui nous rassemblerait tous et toutes, n’est-ce pas ce à quoi il faudrait oser aujourd’hui s’atteler?