Peut-être vaut-il la peine de s’étonner du peu d’opposition large que l’imposition d’un passeport vaccinal a jusqu’à présent rencontrée au Québec? Comme si on était en train d’oublier bien des dimensions d’une crise sanitaire qui n’en continue pas moins à nous tenir en alerte aujourd’hui via les prévisions d’une quatrième vague, déjà annoncée à cor et à cris.
Il est vrai que les médias « mainstream » ont quand même fait grand bruit autour du passeport vaccinal, mais en ne s’arrêtant qu’aux problèmes de confidentialité et de préservation des données personnelles qu’il risquait de poser. Ce qui, bien sûr, n’est pas rien, mais passe cependant à côté de la question de fond : en quoi l’obligation d’un passeport vaccinal est-elle dans le contexte actuel, une mesure judicieuse, non seulement en termes sanitaires mais aussi en termes sociaux et politiques, c’est-à-dire réfléchie sur la base des valeurs démocratiques qui sont censées être les nôtres ?
Le vaccin n’est pas la panacée
En fait, on a cru avoir trouvé la panacée miraculeuse pour faire face à cette pandémie; ou plus exactement, les groupes dirigeants des sociétés libérales occidentales ont pensé tenir la solution définitive à leurs dilemmes : avec une immunité collective vaccinale d’au moins 75%, acquise grâce aux vaccins (et aux profits !?) des grandes pharmaceutiques occidentales, il paraissait possible d’arrêter la pandémie et par conséquent de revenir enfin… « à la normale »… en particulier en termes de relance des flux marchands et de redémarrage de la machine économique néolibérale. Tel est le mantra officiel, repris aujourd’hui un peu partout par bien des gouvernements et dont le président français Emmanuel Macron a tenté de se faire le porte-parole déterminé, en n’hésitant pas à emprunter le premier une voie autoritaire en la matière.
Il reste que les choses ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît.
Les données scientifiques rigoureuses et vérifiées sur de larges échantillons qui sont actuellement à notre disposition (en Israël, aux USA, etc.) le montrent sans équivoque : face au variant Delta et à bien d’autres variants possibles et plus létaux, les vaccins actuels — qui sont encore, faut-il le rappeler en phase d’expérimentation (leur troisième phase n’ayant pas été encore conclue !) — sont loin d’être aussi efficaces qu’on l’imaginait, n’empêchant pas toujours la transmission de la maladie, ni non plus l’apparition de symptômes maladifs, se contentant d’en réduire l’acuité ou la portée, le tout pour une durée de seulement quelques mois.
Et c’est là l’étrange : au moment même où l’on commence à prendre la mesure des douloureuses limitations du vaccin, voilà qu’on veut en faire une obligation impérative, et qu’on est prêts à en passer par des mesures autoritaires, croyant ainsi conjurer — amendes et renvois à l’appui — les effets ravageurs d’un virus dont on ne sait plus trop comment en venir définitivement à bout.
Il est vrai que la voie autoritaire peut donner le change, puisqu’elle force, de manière indirecte, plus de gens à se faire vacciner, et surtout donne l’illusoire impression que le gouvernement de la province prend les choses au sérieux. En fait, en utilisant la manière forte, le gouvernement de la CAQ continue de gérer la santé des Québécois depuis le haut, depuis les logiques d’un pouvoir punitif et policier, sur le mode non transparent, bureaucratique et administratif, en risquant non seulement de réduire les espaces démocratiques déjà exsangues dont on dispose collectivement, mais aussi d’alimenter des oppositions de type populiste lourdes de conséquences.
Or c’est de tout autre chose dont on aurait besoin : bien sûr de continuer à promouvoir le vaccin (il reste dans le contexte actuel une première parade nécessaire), mais sans distiller de faux espoirs à son sujet ni l’imposer autoritairement (ainsi que le recommande l’OMS), et en l’accompagnant non seulement du maintien des gestes barrières et de mesures de distanciation sociale (masques, désinfectants, tests gratuits généralisés, etc.), mais aussi et surtout d’une stratégie socio-sanitaire large et diversifiée qui fait actuellement défaut.
Cette dernière devrait ainsi comprendre le soutien déterminé à la recherche de nouveaux médicaments efficaces. C’est là une autre voie prometteuse et peu explorée du fait, semble-t-il, des pressions des lobbies pharmaceutiques. Elle devrait aussi comprendre l’appui décidé aux pays du Sud pour qu’ils puissent tout comme nous et le plus rapidement possible disposer de vaccins accessibles, notamment par la libéralisation des brevets et des politiques d’aide généralisées prises en charge par les pays les plus nantis. Après tout, la pandémie est mondiale, et ce n’est que par des stratégies mondialisées que nous pourrons la contenir et éviter le retour récurrent de variants.
Cette stratégie socio-sanitaire devrait enfin comprendre le renforcement généralisé de nos systèmes de santé (et la revalorisation, notamment financière, des personnes qui y travaillent en position subalterne). Plus précisément, elle devrait favoriser le déploiement d’une médecine communautaire et préventive (voir les CLSC d’antan !), faisant du patient « l’agent principal de sa santé » et ne craignant pas de mener des recherches approfondies, tant sur les effets secondaires des vaccins eux-mêmes que sur les conséquences à long terme des maux liés à la COVID 19. C’est là, la seule garantie pour que le pouvoir biomédical actuel — et qu’utilise à ses propres fins politiques le gouvernement de la CAQ — n’impose pas, à l’occasion des peurs que la pandémie soulève, une vision autoritaire et utilitaire, étroitement technicienne et réductrice de la santé humaine.
Après tout, il y a bien des experts aujourd’hui qui mettent en évidence le fait que ce n’est pas seulement le virus, mais aussi l’ensemble de nos conditions de vie et d’existence matérielles (urbanisation accélérée, élevage industriel, déforestation massive, fragmentation des habitats animaux, etc.) qui « fabrique des pandémies », et qu’en ce sens, il devient non seulement nécessaire, mais surtout urgent de faire de la transformation de nos modes de vie, et donc de la préservation de la biodiversité, « un impératif pour la santé planétaire »*
À ne pas oser aller sur ce terrain, en craignant de confronter le gouvernement à propos d’orientations sanitaires des plus discutables, la gauche perd ainsi une belle occasion de faire entendre, et surtout de se confronter au monde des complotistes, dont le désarroi et la colère ne se comprennent que trop, mais qui se trompent de cible lorsqu’ils dénoncent grossièrement les vaccins et ne voient pas que la source de leur désarroi gît dans les profonds dysfonctionnements de nos sociétés contemporaines. Pas de doute : il existe des dangers à l’autoritarisme vaccinal qu’il ne faut pas oublier de dénoncer! Il serait temps que la gauche le dise haut et fort !