Si la Ville de Québec rebaptise son projet de Zone d’innovation Littoral Est « InnoVitam », elle ne prévoit toujours pas imposer de moratoire sur la vente de quinze terrains publics à des entreprises privées pour la réalisation de ce parc techno-industriel, comme le demande la Table citoyenne Littoral Est. Même si la superficie totale de ces terrains publics atteint l’équivalent de quatre-vingts terrains de football (428 035 m2) du quartier Maizerets-Lairet et de Beauport, ce projet n’a fait l’objet d’aucune consultation publique depuis les débuts de sa planification.
InnoVitam s’inscrit dans le projet Saint-Laurent cher au premier ministre Legault, projet qui consiste en une « siliconisation de la vallée du Saint-Laurent », pour reprendre une expression du professeur à l’Université Saint-Paul, Jonathan Durand Folco. Il s’agit de mettre en place vingt-trois parcs techno-industriels où seront regroupés des entreprises, des centres de recherche et des institutions notamment spécialisées en collecte et en traitement des données numériques.
Sur la nouvelle page web du projet « InnoVitam », la Ville soutient qu’il s’agira d’un carrefour pour le développement des secteurs économiques suivants : mobilité et logistique intelligente du transport, santé durable et technologies sanitaires, et technologies propres urbaines. Les termes de « surveillance des comportements des consommateurs en temps de restrictions », d’«accroissement analytique des données massives », de «laboratoire d’expérimentation des technologies 5G » et de « zone surveillée en continu et connectée », qui figuraient dans la présentation initiale du projet, semblent avoir été écartés au profit d’expressions plus séduisantes, mais il y a fort à parier que l’essence du projet demeure la même. En outre, si l’administration municipale a lancé une plate-forme de consultation publique le 16 août dernier, c’est pour connaître l’avis des citoyens « sur différents thèmes, dont le développement durable, la mobilité active, l’habitation et les arbres », mais rien ne laisse croire qu’une gouvernance citoyenne d’une partie du projet, qui, rappelons-le, serait réalisé sur des terrains publics, soit envisagée.
Le Conseil de quartier Maizerets, qui a mis en place la Table citoyenne Littoral Est afin de favoriser la participation citoyenne à la réflexion sur ce projet, réclame que soient considérés trois axes : l’harmonisation à la biodiversité et à la santé de la population, l’intégration de logement social pour lutter contre la gentrification et la crise du logement et l’importance de développer des services de proximité, des lieux partagés et des espaces autogérés pour favoriser l’inclusion, la convivialité et l’autonomisation des communautés locales. Pour ce faire, elle lance six propositions. Une gouvernance partagée véritable pour le développement du Littoral Est, la création d’un corridor de biodiversité et de mobilité active, d’un centre social autogéré (à la manière du Bâtiment 7, à Montréal), la renaturalisation d’un dépôt à neige pour donner accès aux berges du fleuve à la population, l’intégration d’un volet de souveraineté alimentaire (en intégrant les terres des Sœurs de la Charité et en construisant des serres sur les toits) et finalement le développement d’un plan d’action précis sur le logement social dans le quartier afin de contrer la gentrification et l’éco-gentrification.
À la veille des élections municipales, plusieurs partis ont déjà pris position sur ce méga-projet, mais pour l’instant, seuls Démocratie Québec et Transition Québec appuient l’idée d’un moratoire afin d’empêcher la vente des terrains publics aux entreprises privées tant que de véritables mécanismes de participation publique à l’élaboration du projet n’auront pas été mis en place.
Dans un contexte où la biodiversité s’amenuise, où l’agriculture urbaine et la souveraineté alimentaire se présentent comme des alliés essentiels à la lutte contre les changements climatiques, mais aussi à une plus grande cohésion sociale, à l’heure où l’on craint les effets de la montée des eaux partout sur la planète – on n’a qu’à penser aux inondations récentes survenues à New York – et où les inégalités sociales s’accroissent, comment imaginer un projet de développement économique du littoral sans que les lignes de force du projet ne s’articulent autour de l’environnement et de la justice sociale? Certains avanceront que le développement de l’économie numérique est plus vert. Il peut sans doute l’être, mais croire que le numérique en soi est une panacée est un écran de fumée… Pour que le développement économique soit durable, il ne faut pas qu’il en porte simplement le qualificatif : il doit être effectué en concertation avec tous les acteurs du milieu, et s’inscrire dans une vision à très long terme. Le mirage des profits à court terme a un prix. Et ce n’est pas aux citoyens de Maizerets de le payer.
(En collaboration de Marie-Hélène Deshaies)