Pour quiconque s’intéresse aux prochaines élections municipales de la ville de Québec, il y a de quoi à première vue, y perdre bien de ses points de repère. Car, après le départ annoncé de ce maire populiste et haut en couleurs que fut Régis Labeaume, on se trouve devant pas moins de cinq équipes en liste pour briguer le pouvoir à la mairie de Québec le 7 novembre prochain.
Il s’agit de cinq équipes dont on peut voir un peu partout déjà les affiches colorées orner sans ordre les rues de la capitale nationale, mais qu’on peut cependant –au-delà des discours de circonstances— classer en deux grands camps clairement opposés : avec d’un côté, soit campée du côté de la droite dure, l’équipe de Québec 21 de Jean-François Gosselin, soit à droite ou parfois au centre droit, l’équipe de la dauphine du maire Labeaume, Marie Josée Savard ; et avec de l’autre côté, trois formations concurrentes plutôt marquées par des références ou valeurs de gauche, s’étirant du centre\centre gauche avec l’équipe Québec fière et forte de Bruno Marchand, à la gauche modérée avec l’équipe de Démocratie Québec et à la gauche clairement revendiquée avec l’équipe de Jackie Smith de Transition Québec.
Certes, puisqu’il est question d’élections municipales et qu’on tend à les considérer comme « apolitiques » ou tout au moins comme ne renvoyant qu’à des enjeux locaux, on ne catégorise pas habituellement les candidats en lice de cette manière, préférant insister sur les questions concrètes qui les sépareraient : celle du 3ième lien, et au delà celle du tramway et de la mobilité durable ; ou encore celle du souci de l’environnement et de la protection des terres agricoles ; sans parler bien sûr de l’étalement urbain, de la densification et de l’amélioration des milieux de vie comme de luttes aux inégalités sociales ou aux discriminations systémiques.
La politique partout présente
Mais justement, c’est ce qui est révélateur de ces élections : tous ces thèmes recèlent en fait une forte dimension politique sous-jacente dont les politiciens traditionnels n’ont pas manqué de repérer tout le potentiel électoral. Il n’est que de penser à l’implication de la CAQ du Premier ministre François Legault dans le projet du 3ième lien concernant le tunnel sous-fluvial Québec/Lévis. Ou encore à ces questions récurrentes touchant au développement urbain contemporain (la place des banlieues, l’importance du développement autoroutier ou portuaire, le poids des lobbies du béton et de la construction versus la défense de l’environnement, etc.), sur lesquelles, dans la grande région de Québec les milieux conservateurs et de droite n’ont cessé de se faire entendre et de renforcer leur présence, notamment lors des dernières élections fédérales.
Car c’est peut-être ce qu’il faut retenir dans cette affaire : dans la grande région de Québec, la droite est non seulement solidement implantée, mais semble bien placée pour l’emporter, et même gagner du terrain.
Les premiers sondages relatifs aux prochaines élections municipales —aussi partiels et conjoncturels soient-ils par ailleurs— le laissent entrevoir : pour l’instant c’est l’équipe de Marie José Savard —assumant l’héritage du maire Labeaume— qui l’emporte avec 29% des voix, suivie de l’équipe de Jean-François Gosselin (le candidat des banlieues et du 3ième lien) avec 18%, alors que l’équipe de Bruno Marchand du centre gauche ne récolte que 13%.
La droite donc part avec un net avantage, cumulant près de 47% des voix Et si l’on souhaite à gauche —non seulement s’affirmer comme gauche— mais freiner dans les faits la montée de la droite, en finir donc par exemple avec le 3ième lien ou encore avec les infinies tergiversations autour de la nécessité d’un véritable projet de transport collectif structurant dans la région de Québec, il faut s’en donner les moyens, c’est à dire avoir une stratégie globale permettant d’établir un véritable rapport de force favorable aux idées de gauche au sein du prochain conseil municipal.
Et tout porte à croire, après le départ de Labeaume et l’inévitable période de transition qui s’en suivra, que tout ne se jouera pas autour de la seule élection du prochain maire ou de la prochaine mairesse, mais aussi de l’équipe de conseillers qui l’accompagnera et lui permettra de mettre ou non en application ses orientations premières.
Des politiques de désistement ou d’alliance ?
Or à l’heure actuelle, les candidats et la candidate du camp de la gauche ou du centre se présentent en ordre dispersé sans aucune perspective stratégique commune, par conséquent sans aucune politique d’alliance annoncée, ne serait-ce qu’au niveau des conseillers à élire dans chaque district.
Par exemple dans le district de Saint Roch Saint Sauveur, alors que le candidat de Québec forte et fière est un ancien partisan de Labeaume, s’opposent deux candidats très clairement marqués à gauche : Mbaï Hadji Mbaïrewaye de Démocratie Québec bien connu dans les milieux communautaires de la Basse-ville de Québec et Élisabeth Germain de Transition Québec, féministe chevronnée et membre reconnue de QS. Comment dans un tel contexte, peut-on imaginer que les voix de la gauche ne risquent pas de se fragmenter et ainsi de permettre à des candidats plus à droite de se faire élire, affaiblissant d’autant le poids de la gauche au sein du prochain conseil municipal ?
Pourquoi pas dès lors penser –et il n’est pas trop tard pour le faire— à des politiques de désistement là où elles s’avèreraient possibles et déterminantes, en particulier au niveau de l’élection des conseillers, et notamment (mais pas seulement) dans les districts Saint-Roch-Saint- Saint-Sauveur, dans Limoilou et dans Maizerets-Lairet?
Ne serait-ce pas une manière de commencer à en finir avec la fragmentation des forces de gauche, et à son incapacité notoire à ne serait-ce que freiner les avancées –si préoccupantes aujourd’hui— de la droite ?
Québec, le 4 octobre 2021
L’analyse de Pierre Mouterde me semble valide, mais beaucoup plus pertinent au centre-ville qu’ailleurs. Le problème pour le centre-ville et ses résident.es plus à gauche, c’est que nous sommes minoritaires dans la grande ville fusionnée. Les banlieusards sont majoritaires au conseil de ville et l’élection de Régis Labeaume et son équipe en est témoin. Les valeurs ne sont pas les mêmes : autos, radios-poubelles, troisième lien. En tant que résident du centre-ville avec mes valeurs plus à gauche, je me sens éternellement minoritaire, une victime des fusions qui m’obligent de subir des politiques municipales à l’encontre de mes valeurs. Parfois, je me demande s’il serait possible de défusionner le centre-ville pour nous redonner le contrôle démocratique de notre avenir. Cela dit, je suis d’accord que, dans le système actuel, il faut penser stratégiquement au centre-ville.