Il semble peu avisé de faire une critique de ce livre dont les propos n’en appellent aucune. D’abord, parce qu’ajouter à tout ce qui été dit serait ajouter à la réalité toute discursive de son objet principal : le troisième lien. « Et si le troisième lien n’était destiné qu’à nous faire parler ? » nous demande l’auteur, Simon-Pierre Beaudet. Ensuite, parce que c’est aussi un recueil écrit par un littéraire qui vous le dit : la critique entretient le milieu littéraire, sans plus.
Mais les propos sont assez amusants pour justifier, au moins, une lecture. C’est une prise de position sur la société de consommation, ses leurres, ses platitudes, ses extravagances et la fabrique de ses obsessions. Tout tient dans le titre qui est comme ce que les anthropologues appellent un fait social total : manger dans son char. Un fait qui en dit long. Dans la société de Québec depuis laquelle SPB nous amuse sur les usages de la propagande indifférenciée du marketing et du politique dans la société de consommation, manger dans son char est un acte qui révèle tout des mœurs et des rêves de ces humains aux prothèses de 1 300 kilos. Par celles-ci, le quotidien est organisé en pendule, la parole publique est distribuée, les relations sociales sont coupées et expédiées, les préférences tombent du ciel sous forme d’ondes radiophoniques, et la commensalité, comme le dialogue qu’elle favorise, est nulle.
Le titre est donc un concentré, mais l’analyse n’y est pas épuisée. Le professeur de littérature se fait bon journaliste, pas pire sémioticien et drôle de critique. Il respecte son champ d’expertise. Chronique et poétique de l’infrastructure au menu de ce livre-collage, parsemé de poèmes et textes qui forment une réflexion dispersée sur la parole publique, l’urbanisme et les compromis nécessaires pour que nous puissions vivre ici, dans notre fantasme dépressionnaire – pour reprendre l’adjectif de l’auteur -, à Québec. Cette analyse médiatique réussit effectivement à avancer dans le mandat dans lequel l’auteur s’est embourbé : éclairer le mystère Québec.
Si on se prenait au sérieux, ce que SPB ne semble pas faire, on pourrait s’indigner de son contenu presque entièrement recyclé. À moins que cela soit aussi un commentaire sur la réalité du champ littéraire aujourd’hui. On peut certainement trouver une grande partie de son contenu sur d’autres plates-formes de publication. Ce n’est pas gardé en mystère. Prenez garde donc, et réfléchissez à votre moyen de vote, car, selon la logique de l’auteur (qui semble m’avoir convaincue), l’acheter, c’est encourager le troisième lien… N’allons pas, avec lui, trop loin : l’organisation des textes tissant la réflexion et le contenu exclusif (!) en valent le coup d’œil et la méditation, afin de mieux saisir la genèse narrative de nos démesures qui se matérialisent souvent trop vite.