“L’originalité d’un auteur dépend moins de son style que de sa manière de penser.” – Anton Tchekhov
Notre personnage sympathique est d’un type particulier, voire singulier. Un mélange de névroses saines et d’habitudes toxiques. Un cocktail explosif, qui montre le meilleur, comme le pire côté du personnage. Cette accoutumance à la folie, contenue dans une seule et même personne, trouve preneur chez moi : je l’aime d’un amour inconditionnel, mon deuxième moi.
Voilà, récemment, qu’il a outrepassé les possibles !
Postés devant le café Éluard – il est fermé pour différentes causes et effets attribuables, en partie, aux moult scandales du médicastre (abondamment documentés dans ces pages), nous avons discuté de la pluie, du beau temps, de la neige, du verglas et de ses récentes visites en soin psychiatrique. Rien de neuf. Doc a son lit réservé depuis belle lurette, un client assidu et réclamé par une certaine élite du domaine. Il fait ouvrage en étant lui-même un sujet d’études passionnant pour qui cherche un terreau fertile en d’extraordinaires névroses non documentées. Or, je m’éloigne…
Devant le café, donc :
– Doc, c’est vrai que tu as reçu deux doses de tous les types de vaccins disponibles ?
– Mieux, j’attends le vaccin russe, indien et celui bien de chez nous à base de plantes.
– Pourquoi recourir à autant de vaccins ? – Jamais trop prudent.
– Tu es médecin, bien que radié trop souvent, tu sais la contre productivité d’avoir des tonnes de vaccins ! – Bien sûr.
– Mais alors ?
Doc a cette mine parfois, un faciès difficile à cerner – ce qui n’est pas un bon signe – ; il m’a toisé comme un cinglé et a porté un jugement sur ma personne.
– Combien de vaccins as-tu reçus toi ?
– Moins qu’il en faut.
– Tu n’aimes pas les piqûres ?
– Je préfère Épicure.
Un moment de silence. J’ai allumé une clope et pouffé un peu par là, un nuage.
– Tu me dis ton délire pour tous ces vaccins ?
– Je veux être sûr d’avoir le bon !
– Quand bien même tu as le bon, il n’est plus efficace s’il est enseveli par une tonne de variants de vaccins de tous les bords !
– Tu te trompes mon ami.
– En quoi ?
– Plus on est vacciné et moins on court de risque.
– Tu es certain d’avoir terminé ton cursus en médecine ?
– Si je suis radié, il va de soi que j’ai été auparavant médecin…
– Je pose la question.
Doc m’inquiète, comme toujours, depuis si longtemps. Alors que j’ai une certaine habitude aux lubies discrètes et inoffensives de Doc, là, je n’arrive pas à dégoter une once de sérieux ou d’intelligence dans cette attitude.
J’ai apporté une petite bouteille de Légendario, un classique. Quelques lampées assis dans les marches extérieures du café, pour que la langue de Doc se délie.
– Je dois te faire une confidence mon ami.
– Je suis tout ouïe !
– Je suis dépendant aux vaccins.
– Comment peut-on être dépendant à ça ?
– La science mon ami, je m’en injecte intraveineuse.
– Je veux bien, mais pourquoi risquer ta vie ?
– Je suis un Cobaye.
– Pour qui ?
– Une entreprise privée qui me paie très bien !
J’ai tourné la page sur cette journée insignifiante. Doc, comme toujours, est con.
J’aime bien les cons.