Ça y est, le premier dispositif du «Portefeuille numérique» à reconnaissance faciale au moyen d’une application mobile a été officiellement annoncé par le gouvernement du Québec en février dernier. Disons que le passeport vaccinal, qui soulève pourtant encore des doutes au niveau éthique et dont l’usage a été révoqué, semble déjà bien peu de choses à côté.
En fait ce n’était que la pointe de l’iceberg de la Transformation Numérique, le dada du régime de la Coalition Avenir Québec. Piloté par Éric Caire, député de La Peltrie placé à la tête du nouveau ministère de la Cybersécurité et du Numérique, ce grand projet est censé libérer les citoyens de la lourdeur bureaucratique associée aux actuelles preuves papiers exigées pour s’authentifier.
À terme, il s’agit de trouver l’outil qui permettra de tout réunir à un seul endroit ce qui définit légalement un individu, comme son numéro d’assurance-maladie, son certificat de naissance, et même son compte de carte de crédit. Je suis désolée pour la faillite des maroquiniers quand plus personne n’aura besoin de traîner de portefeuille sur lui. Aucune carte, donc, seulement son téléphone cellulaire et peut-être même qu’un jour, grâce aux progrès de la biométrie, il faudra simplement accepter de se faire implanter une puce quelque part sous l’épiderme qui nous reliera à l’entièreté de nos renseignements personnels contenus dans le Big Cloud.
Cette idée de puce dans le bras, combien hier elle en a fait entrer de gens à l’hôpital qui étaient réputés délirer. Il faut croire que les fous ont de bonnes idées ! Ce qui était farfelu hier est repris aujourd’hui par une élite qui s’est lancée ouvertement dans l’entreprise de nous « tracer ». Annoncée officiellement au Québec dans une conférence de presse d’Éric Caire du 28 octobre 2021 et disponible sur Youtube comme une solution non seulement envisageable, possible, mais bien réelle, l’identité numérique digne des scénarios de science-fiction dystopiques relève pratiquement déjà de la fatalité.
Nous sommes en droit de nous questionner. Outre le fait de nous faire gagner un peu de temps quand on va sortir faire nos courses dorénavant, et de démocratiser la paranoïa, je me demande en effet ce que l’identité numérique va concrètement nous apporter.
D’une part, il est vrai que les cyberattaques de hackers du type de celle qu’a connu Desjardins vont augmenter et se complexifier dans les prochaines années, d’où le besoin de trouver les moyens d’assurer plus de sécurité. D’autre part, sous la contrainte écologique, il faut effectivement s’organiser pour ne plus dépendre du papier qui provient d’une ressource limitée. Le problème du numérique est certainement très réel. Néanmoins, la transition telle qu’envisagée par le gouvernement du Québec vers le stockage de données virtuelles dans le Grand Nuage me semble soulever pas mal plus de problèmes de sécurité, d’éthique et d’environnement qu’elle n’en résout, justement.
Premièrement, les centres de données, ordinateurs et téléphones cellulaires génèrent plus de pollution et de GES que l’aviation, (entre 2,1 % et 3,9 % des GES sur la planète pour les premiers contre 2,5 % pour les derniers). Il faut donc oublier l’argument de l’écologie. Ensuite, l’État Québécois fait face à un manque criant de ressources en informatique. Il n’a pas les moyens de concurrencer les firmes privées pour l’embauche d’une main-d’œuvre qualifiée. Résultat, on se retrouve à devoir recourir à la sous-traitance pour effectuer la tâche colossale de ce chantier. Autrement dit, ce projet va littéralement remettre dans les mains de hackers potentiels de haut calibre toutes les données relatives à l’identité de millions de Québécois qui seront réunies au même endroit et qui, comme on le sait, valent leur pesant d’or. Finalement, difficile d’admettre que l’identité numérique telle que proposée par la CAQ permettra aux gens de mieux dormir la nuit quand celle-ci facilite de façon flagrante et éhontée la tâche aux pirates qui désirent plus que tout vendre leurs renseignements sur le nouveau marché.
Je m’explique. Oui, quand un pirate réussit à infiltrer Desjardins, c’est plate. Sauf qu’il n’a pas réussi, au moins, à obtenir tous les numéros, les lettres et les signes qui forment l’entité morale au niveau légal des clients en dehors de la caisse populaire. Alors, quand toutes ces données seront réunies en un seul endroit, (dans le Gros Nuage), sans compter que celles-ci seront avant tout devenues du data, propriété du GAFAMI responsable de ce Gros Nuage, nous serons rendus plus que jamais exposés et vulnérables aux cyberpirates qui auront la possibilité de tout rafler sur nous: informations bancaires, codes permanents et formulaires médicaux, paf, d’un seul coup.
Bref, je me demande s’il est nécessaire que l’employé du St-Hubert ait, lui aussi, accès à tous mes renseignements confidentiels parce que, oui, il va devoir scanner mes yeux ou mes bras pour me faire payer mon quart cuisse à la fin de ma journée!
N’empêche que le plus inquiétant dans tout cela, c’est le quasi silence radio dans les médias entourant le projet. Pourtant, il était déjà une occasion d’affaires alléchante en 2018 pour Google, Oracle et Amazon. À preuve, ces géants ont fait inscrire des représentants de leurs services infonuagiques au registre des lobbyistes du Québec en lien avec l’identité citoyenne numérique. Autant dire que depuis 2020, la pandémie, l’Inflation, le réchauffement climatique et l’Ukraine servent d’écran de fumée à ce qui s’en vient. Les quelques rares journalistes qui se sont risqués à en parler donnent l’impression d’être devenus d’étranges avant-gardistes marginalisés. Soulignons le point de vue fort pertinent de Nathalie Elgrably, économiste et journaliste, qui a publié, le 12 novembre 2021, dans le Journal de Montréal, un billet d’opinion condamnant sans équivoque ce projet qui constitue, selon elle, la porte d’entrée du crédit social tel qu’il est instauré et fonctionne dans un pays totalitaire comme la Chine.
Par ailleurs, au cours des derniers mois, plusieurs informaticiens de la fonction publique sortent discrètement pour tenter de nous mettre en garde contre les dérives tout à fait inévitables de l’identité numérique. Chargé de développer une application, l’un d’entre eux me décrit ce dont il s’agit. Désirant que son anonymat soit préservé, il passe, de simple citoyen, à véritable lanceur d’alerte. « Ça va ressembler, raconte-t-il, à l’envoi de messages sur ton téléphone cellulaire, du genre : Bonjour, madame Fournier, vous avez manqué deux paiements chez Hydro-Québec. Durant cette période, nous avons remarqué que vous avez acheté pour plus de cent dollars à la SAQ. Veuillez noter que votre accès à la SAQ est révoqué jusqu’au paiement complet de votre solde Hydro-Québec. »
Des témoignages de plus en plus nombreux de fonctionnaires Québécois inquiets de la disparition de la vie privée avec l’apparition du traçage qui va permettre aux autorités de mieux surveiller, punir et contrôler les citoyens, semble confirmer malheureusement l’intuition prophétique d’Elgrably par rapport à la défaite des droits et libertés. Cet article de 2021 nous pressait de contester la loi 6 avant qu’il ne soit trop tard. En 2022, rien n’a été fait, la boîte de Pandore est ouverte et ce sont certainement les compagnies privées qui ont le plus d’intérêts dans ce projet qui vont en profiter.
Les gens n’en sont pas informés autrement que par le biais de publicités financées par le parti au pouvoir qui leur présentent divers outils biométriques sous leur aspect utilitaire, voire glamour.
Souvenons-nous de la stratégie de propagande efficace déployée pour faire accepter le code QR pendant la pandémie. Certaines personnes, se sentant faire partie de la bonne société, fières d’avoir obtenu ce code-barre à deux dimensions octroyé aux privilégiés, l’ont même fait encadrer, ou l’exhibaient comme un badge, alors que le passeport vaccinal s’est avéré loin, en réalité, de remplir les promesses de sécurité contre le virus de la covid-19, et celle de liberté qui avaient servies pour le faire adopter.
Il importe donc, par-dessus tout, de dissiper le nuage de fumée entourant le projet de transition de notre vie privée vers le Gros Nuage avant de se dissiper nous-mêmes en tant qu’individus membres d’une société démocratique et libre.