La montée en popularité des V.U.S (véhicule utilitaire sport) ne peut s’expliquer que par le choix des consommateurs. Ces bolides entrent en accord avec les valeurs de notre époque : l’individualisme, la sécurité et la liberté, au détriment d’une population victime de paupérisation, rendue vulnérable et marginalisée par le dogme économique de notre époque. De plus, je ne crois pas aller trop loin en affirmant que l’utilisation de V.U.S dans nos villes doit être dès lors considérée comme un usage de la violence envers les personnes qui y résident.
Le géographe Stephen Graham affirme que depuis l’histoire des villes et leurs toutes premières formes et incarnations, celles-ci se sont toujours développées et construites selon le contexte géopolitique. Les fortifications, les hauts murs et barricades de protection, sont ainsi le reflet d’une époque de la peur de l’ennemi et de l’étranger. Depuis trente ans, le monde connaît une urbanisation rapide, alors que plus de la moitié de la population mondiale habite dorénavant les villes.
Depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, face à l’influence socialiste, les États-Unis entreprennent des guerres en Afrique et au Moyen-Orient afin d’élargir leurs sphères d’influences. L’Irak est sans aucun doute la victime la plus abominable et injustifiable des conquêtes américaines. Désirant obtenir le monopole sur le pétrole afin de mieux contrôler les prix, contrôle appartenant aux pays membres de l’OPEP, les États-Unis se livrent à des sanctions économiques et des bombardements en Irak, entre 1989 et 2003, jusqu’à ce que l’Iraq soit relégué à un stade préindustriel dans son développement économique et social. L’Irak était pourtant une société largement industrialisée et en plein progrès socioéconomique avant que ces injustifiables abominations ne surviennent sur son territoire.
Puis, le 11 septembre 2001, le monde est bombardé d’images chocs : les fameuses tours du centre-ville de New York s’effondrent, enlevant la vie à plusieurs centaines d’individus. Toute personne lisant ces lignes se souvient de ces images qui tournent encore de manière très claire et apocalyptique dans nos mémoires collectives. La ville devient ainsi un lieu dangereux, à haut risque et empreinte de nombreuses incertitudes. Comment adresser nos peurs et nos anxiétés face à l’environnement urbain devenu hostile et insécurisant ? Il est évident qu’un bolide ressemblant à un char d’assaut militaire, énorme, permettant une bulle individuelle autour de soi de plusieurs pieds, permettra aux individus de circuler de manière sécuritaire en ville sans craindre que le ciel lui tombe sur la tête ou qu’un ennemi intérieur, le terroriste, l’immigrant, le pauvre, le sans-abri, ne l’attaque.
Publicitaires et vendeurs automobiles ont largement profité des peurs anxiogènes des individus pour proposer un tout autre moyen de se déplacer en ville, au détriment de ceux et celles qui ne peuvent se permettre d’acquérir un tel engin, faute d’espace où le stationner pour les 98% du temps où il ne roule pas, ou faute d’argent, le prix moyen d’un V.U.S étant en moyenne 10 000 $ de plus qu’une voiture normale.
De plus, comme le V.U.S consomme de deux à trois fois plus d’essence qu’une voiture normale, les États-Unis peuvent ainsi justifier leur énorme réserve et surplus de pétrole, conquis de manière brutale et violente chez nos concitoyens iraqiens.
Le point principal que je souhaite soulever ici est que les V.U.S ont totalement redéfini les conditions d’accès à la ville. Ils créent une violence inouïe et injustement non-nécessaire pour toutes celles et ceux qui résident et circulent en ville d’une autre manière qu’en véhicule motorisé. Pour les femmes de ma grandeur (je mesure cinq pieds quatre pouces), il s’agit de circuler en ville en étant entourées de véhicules plus hauts que soi. Pour celles et ceux qui ont des enfants, il s’agit de se questionner sur des choix totalement absurdes : dois-je laisser mon enfant aller jouer dans la rue au risque qu’il se retrouve en-dessous d’un V.U.S qui n’aurait pas pu voir mon enfant? Rappelons que dernièrement, un enfant a été hospitalisé à cause d’un V.U.S. Alors qu’il jouait dans une ruelle dans le quartier Outremont, ce dernier s’est retrouvé en-dessous d’un V.U.S, trop petit pour se faire voir par un véhicule trop énorme.
Et enfin, pour les personnes à mobilité réduite, il s’agit d’une nouvelle contrainte qui s’ajoute à celles déjà existantes et nombreuses et qui vient limiter les déplacements de toutes celles et ceux qui ne répondent pas aux standards et normes qui ont guidé la construction de nos villes. Bref, les villes ne sont absolument pas conçues pour ces véhicules et ces véhicules ne sont pas conçus pour les villes. Faute d’aménagements urbains adéquats, ce sont les résidents et les résidentes des environnements urbains qui doivent subir ces externalités négatives au quotidien. Je n’aborde pas la question des émissions de GES ici, faute d’espace, mais je considère que les lecteurs et lectrices sont largement au courant des effets qu’ont ces bolides sur la qualité de notre air et sur la pollution atmosphérique, dans un contexte de crise climatique.
Les politiciens parlent d’un débat entre automobilistes et piétons, entre urbains et ruraux. Je trouve cela totalement déplorable qu’au nom de vouloir conserver à tout prix son pouvoir, des politiciens censés défendre la sécurité de tous les citoyens et citoyennes, avec et sans véhicule, réduisent ces enjeux de sécurité à une histoire de clivage, polarisant du même coup le débat public au Québec. Ces clivages doivent être dépassés au nom de la justice sociale et du droit à la mobilité de toutes et tous en contexte urbain. Ce sont actuellement les conditions d’accès à la ville, son droit même de l’habiter, et d’y vivre qui sont redéfinis en faveur des bolides beaucoup trop énormes et dont l’utilisation n’est absolument pas justifiée sur une chaussée bétonnée. Finalement, il s’agit d’une violence directe envers toutes celles et ceux qui circulent dans cet environnement. Il est clair que la véritable ville du XXIe siècle doit refuser l’accès au V.U.S en ville et redéfinir les conditions d’accès à la ville en faveur des populations les plus vulnérables