Mon dernier article pour le journal Droit de Parole portait sur la notion de la violence urbaine liée aux VUS. L’idée de la violence associée aux automobiles vient des études urbaines critiques. En effet, une génération de jeunes auteurs invite leurs collègues à réfléchir à la violence automobile. Selon eux, les innovations techniques liées à la conduite de la voiture en milieu urbain ont bouleversé notre vie urbaine et ont créé une multitude d’injustices qui sont aujourd’hui invisibilisées par le discours dominant.
Je vous en partage ici quelques-unes, pour faire suite à la manifestation initiée par des jeunes de l’École Saint-Malo le 25 mai dernier, mais aussi pour élargir le débat et l’élever au-dessus de la pourriture ambiante d’opinions publiques qui polarisent le Québec ces temps-ci, entre les pro et les anti (insérez ici ce qui vous convient : troisième lien, densification, VUS, tramway, etc.).
En effet, le débat entourant l’usage de l’automobile est complexe et ne se résume pas à des opinions tranchantes entre les clans des pour et ceux des contre. Voici donc quelques-unes des injustices que subissent certains groupes de personnes en raison de l’utilisation accrue et populaire de l’automobile.
Les manifestations initiées par des jeunes devraient nous inquiéter. Alors que ceux-ci sortent dans l’espace public pour revendiquer le droit à des aménagements sécuritaires autour de leur école primaire, ces phénomènes sont minimisés par l’élite politique et passent malheureusement sous le radar médiatique. Pourtant, cela devrait gravement nous inquiéter sur le monde que nous avons construit pour eux et qui configurera malheureusement celui de demain. En effet, selon le Centers for Disease Control and Prevention, une agence gouvernementale de santé publique aux États-Unis, la cause première de mort chez les jeunes âgés de 5 à 24 ans est la mort par automobile ou par «accident », comme nous en faisons usage courant dans notre langage commun.
Pourtant, ce ne sont pas des accidents. C’est le résultat concret de plusieurs années de décisions politiques qui ont créé ces circonstances. C’est aussi le résultat d’ingénieurs, d’architectes et d’urbanistes qui ont créé des rues pour les automobiles, sans se soucier une seule seconde des conséquences fatales que ces aménagements pourraient avoir sur les citoyens de la ville. L’«accident » impliquant une automobile et un. e piéton. ne est décrit par les autorités médiatiques et politiques comme une tragédie individuelle et inévitable. Le pauvre enfant aurait dû s’écarter du chemin pour laisser la grosse automobile rouler à pleine vitesse. La grosse automobile, ses angles morts et sa puissance ne sont pas responsables de cet «accident », pas plus que le comportement du chauffeur, victime lui aussi de cet accident. Il ne faut surtout pas accuser les ingénieurs qui sont derrière l’aménagement de cette rue.
Enfin, dans un contexte de population vieillissante et de démographie complètement déséquilibrée, les personnes de 64 ans et plus sont disproportionnellement représentées elles aussi dans les «accidents » automobiles. Elles ont moins de chances de se remettre d’un choc et elles ont moins de vitesse et d’habilité pour traverser les nombreuses autoroutes urbaines. L’automobile est ainsi une menace pour les personnes âgées et les enfants. Ils sont pourtant les usagers de la route les plus vulnérables ; ne devrions-nous pas nous préoccuper d’abord de leurs besoins plutôt que ceux de nos grosses carcasses de fer ?
Les personnes à revenu inférieur sont plus impliquées dans les accidents mortels de la route impliquant un piéton et un automobiliste. Plusieurs raisons expliquent cela. Premièrement, les personnes à revenu modeste sont plus sujettes à marcher et à utiliser les transports actifs dans leur déplacement que les riches. Les pauvres habitent aussi des quartiers défavorisés et moins urbanisés. Comme ils paient moins de taxes, ils ont moins de services et d’infrastructures, comme des mesures d’apaisements, de la peinture au sol et des pistes cyclables séparées de la circulation automobile.
Étrange que Saint-Sauveur, un des quartiers les plus pauvres de la ville de Québec, n’ait pas le droit à son petit tronçon de rue piétonne cet été… La ville de Québec et la SDC en ont voulu autrement. En effet, la rue piétonne, pour exister, doit être un centre d’achats à ciel ouvert! Regardez la rue Cartier, Saint-Joseph, les terrasses de restaurants, les commerces. Ou l’exemple de l’avenue Mont-Royal à Montréal. On vient s’y empiffrer, manger des burgers trop salés et gras, avec de la bière trop chère. On vient acheter des affaires, pour avoir plus d’affaires. On vient s’y parquer pas très loin avec notre VUS, pour ramener ces mêmes affaires dans notre maison, et se dire : «C’est bon pour l’économie, les rues piétonnes ! »
C’est à se demander si la priorité est la sécurité, la rencontre, l’organisation entre citoyens pour exercer la démocratie, dans des lieux calmes et conviviaux. Non. La priorité, c’est de consommer, c’est de redorer nos artères commerciales, c’est de vous faire arrêter pour acheter. Marie-de-l’Incarnation ne sera jamais piétonne, à moins que d’ici le prochain mois, une vingtaine de commerces y ouvrent et s’ajoutent au Vidéo Centre-Ville et à la Poutinerie. Anyway, c’est qui qui regarde encore des DVDs ? (clin d’œil à Vidéo Centre Ville, moi je regarde vos supers DVDs et j’adore la poutine de la Poutinerie!).
Le point est que l’économie capitaliste et les rues piétonnes sont intimement liées. On ne veut pas d’organisations citoyennes spontanées, de fêtes de quartiers, d’enfants qui jouent sans craindre de se faire tuer, de jardiniers en guerre contre le béton, d’artistes qui occupent l’espace avec des mots doux, de jeunes adolescentes qui fument leur premier joint en cachette loin du regard de leurs parents, de personnes âgées qui n’ont plus de dangereuses artères à traverser pour s’acheter une pinte de lait, de mères de familles qui ne craignent plus de sortir avec leurs poupons. Ou pire, de citoyens qui installent des chaises pliantes dans leur entrée pour jaser avec leurs voisins. Des entrées, ça sert à parquer son char, pas à socialiser.
La rue piétonne, pour exister, doit mériter sa place. Cette place est sur l’artère commerciale et non pas dans des milieux de vie fréquentés par des humains, qui sont pourtant accidentogènes et fatals. Voilà pourquoi les enfants de l’École Saint-Malo, à moins d’une nouvelle administration municipale sensible aux injustices liées à l’automobile, continueront, en septembre prochain, à craindre de se déplacer pour aller s’éduquer. Leur lutte est la mienne
Un très bon texte. J’ajouterais une injustice de nature fiscale : le fait que tout le monde paie pour subventionner l’automobile, mais il n’y a que les automobilistes qui profitent. J’ai passé la presque totalité de ma vie d’adulte sans voiture et sans permis de conduire. L’auto, j’en suis contre (m’excuse, mais je suis assez tranché là-dessus). N’empêche que mes impôts et taxes servent à financer le tout-à-l’auto y compris ses soi-disant « accidents » et les décès, blessé.es et coûts de santé et de police qui en découlent. Si les automobilistes payaient à 100 % tous les coûts ils n’auraient jamais adopté leur mauvaise habitude. C’est seulement parce qu’ils ne paient qu’un tiers des coûts qu’il la trouve abordable. C’est nous autres qui payons les deux tiers.
Merci Stuart. Et tout à fait d’accord avec toi. L’injustice fiscale que représente l’automobile et son cout sur la société sont intolérables et on en parle pas assez !