Nous sommes sur un terrain vague dans le quartier Maizerets. Mais qui sait où nous nous trouvons réellement? Qui se rappelle qu’il n’y a encore pas si longtemps, les habitant.es de ces terres s’en nourrissaient, que des vaches y broutaient l’herbe? Comprenons ce qui s’est passé ici pour mieux nous reprendre en main.
Nous sommes sur un fragment de terres nourricières qui ont été coupées par la construction de l’autoroute 40. Au nord, on retrouve le plus gros fragment des « terres des Sœurs de la Charité », terres agricoles dont l’avenir est en jeu. Ici, au sud de l’autoroute et le long de l’avenue d’Estimauville, la fromagerie SMA (Saint-Michel Archange, du nom de l’Hôpital administré par les Sœurs de la Charité) a tout de même continué ses opérations jusqu’en 2007, transformant le fromage produit sur la ferme laitière en collaboration avec ce qu’on appelait à ses débuts « L’asile des aliénés de Québec ». Puis, petits et grands, permis ou non, des jardins collectifs en ont occupé une partie, se confrontant aux plans des gestionnaires municipaux.
Par contre, tout dernièrement, ces terres ont encore été fragmentées, cette fois au profit de l’installation de Medicago, une entreprise consacrée à la bio-pharmaceutique, et à son grand stationnement bétonné qui étouffe le sol vivant. Le reste de ce fragment, toujours propice à la vie et d’une dimension considérable, est aujourd’hui menacé par l’expansion de ce monde de hautes technologies, une accumulation de techniques vouées au contrôle et au profit, qui prétendent reproduire la vie, mais qui y sont en fait totalement hostiles.
En effet, les gouvernements et les entreprises privées proposent d’accaparer ces terres et plusieurs autres terrains du quartier pour un projet nommé la ZILE (Zone d’Innovation Littoral Est), renommé Innovitam, qui s’inscrit dans un projet encore plus vaste de développement n’ayant fondamentalement rien de nouveau: poursuivre la logique du profit à travers la technologie du contrôle et de la surveillance, expulser toute vie qui s’attache et résiste.
Dans ce contexte, Medicago est un exemple du type d’entreprise qui se prépare à prendre les terres de Maizerets. Une entreprise qui utilise une image soi-disant d’écologie et de santé (« utiliser des plantes pour produire des vaccins ») pour dissimuler la vérité: des organismes génétiquement modifiés, des usines à molécules, des cultures aseptisées contenues dans une bulle de verre et d’acier, des bâtiments en tôle reposant sur du béton, des lieux coupés du reste de la vie et de la communauté. Soulignons aussi qu’un des actionnaires importants de Medicago n’est nul autre que le cigarettier Philip Morris, grand magnat de la «santé » s’il en est.
La gestion du COVID-19 nous a offert un avant-goût de ce qu’on nous prépare: tout pour le profit qui se trouve dans l’industrie pharmacogénétique, les plateformes numériques qui sur lesquelles nos échanges sont médiés et qui organisent nos vies, le traçage des populations, le suivi des comportements et l’ingénierie sociale. On nous prescrit isolement et médicaments. On nous présente une petite santé, nihiliste et profondément malade. Pourtant, nous savons qu’être ensemble a ses vertus thérapeutiques, que cultiver des plantes et des espaces de liberté peut nous soigner des maladies civilisationnelles qui nous affligent. Voilà la possibilité d’une Grande Santé. Voilà pourquoi nous sommes ici, sur ces terres toujours fertiles.
Ces terres témoignent d’un ancien rapport, pas encore techno-pharmaceutique, à la maladie mentale qui articulait plutôt dans une modalité conservatrice les concepts de terre, de travail et de santé. Deux régimes de violence qui se succèdent : à un régime d’enfermement et de prise en charge totale de la vie et de l’environnement s’additionne un régime biopolitique, qui fait de la santé un impératif de la citoyenneté, générant des milliards de dollars de revenus aux fabricants de médicaments.
Au milieu de cette violence, des aliéné.es, des marginaux, des incarcéré.es pour trop de créativité, ou pour des douleurs incomprises, ont sans doute déjà pu souffler ici, sortir d’un hôpital surpeuplé même à ses débuts. Nous foulons le sol où ont été forcé.es de travailler tant de Nelligan, de « vieilles filles » et « d’hystériques » (c’est-à-dire des femmes peut-être trop fortes pour leur époque), d’« homosexuels » sans doute, de petites gens inaptes au travail.
La Ville de Québec prévoit vendre ces terres fertiles, qui pourraient être garantes d’une certaine sécurité alimentaire pour les communautés locales, à des entreprises privées. On veut, encore, bétonner le sol. Tuer les êtres qui l’habitent. Empêcher les communautés locales de se nourrir, de se prendre en main.
Nous sommes aujourd’hui sur ce sol pour mettre un terme à ce massacre. Nous reprendre en main. À Montréal, dans le quartier Hochelaga, les communautés opposées au développement de Raymont Logistiques parlent de « résister et fleurir ». Nous partageons cette double volonté qui consiste à « résister » à l’expansion de ce que l’on nomme encore « développement » et à « fleurir » depuis le sol qui nous nourrit, la terre qui nous constitue, les êtres vivants avec qui nous pouvons entrer en relation.
Ici, maintenant, sur ce territoire fertile menacé par la ZILE (Innovitam), nous vous invitons à cultiver la vie. Célébrer le vivant. Réfléchir aux violences qui ont été causées par le passé et offrir un peu de dignité aux gestes que leurs victimes ont posés, en décidant, nous aussi, d’en poser, en parlant au « nous », en parlant d’autonomie. Offrir également aux générations suivantes la possibilité de se nourrir de cette terre et de bénéficier de la présence d’une multitude d’espèces. Nous invitons toutes les communautés de Québec à protéger ce territoire menacé par les gouvernements et leur aveuglement, à défendre, par tous les moyens, ce qu’il reste de vivant. Cette terre n’est pas la nôtre, mais elle n’est surtout pas la leur. Elle revient à l’ensemble des communautés du vivant qui peuvent encore y trouver refuge, y prendre asile, s’y sentir accueilli.es, l’habiter et en prendre soin.
Faisons communauté en ce sens et mettons terme à ce massacre annoncé qu’est la ZILE (Innovitam).
Aujourd’hui, notre action de plantation sur ce territoire vise à signifier notre présence, à expérimenter et connaître les lieux, s’y lier, peut-être même y ajouter un peu de diversité et donner un coup de pouce au retour d’un boisé mature. Nous expérimentons des techniques simples, utilisons ce que nous trouvons sur place le plus possible. Avec de la chance, une centaine d’arbres et diverses espèces vivaces et indigènes pourront y prendre racine. Et nous entendons les défendre contre l’implantation de ce monde de hautes technologies qui ravagent les processus de vie.
Venez y faire vos expérimentations, vos jardins, votre place, vos cabanes, et partager les nôtres. Défendons les comme nos corps. Nos initiatives se compléteront et, ainsi, nous croyons pouvoir créer un lieu qui n’appartient à personne et à tout le monde en même temps! Contre la privatisation, occupons. Contre la bétonnisation, plantons. Contre la ZILE, nous aussi prenons ici asile. L’asile est une Zone à défendre au cœur de Maizerets. Joignez-vous à nous.: asile@riseup.net