La Lincoln Highway est une autoroute mythique qui traverse les États-Unis. Aux voyageurs qui l’empruntent, tout peut arriver.
Emmett Watson a tout juste 18 ans et, reconnu coupable d’homicide involontaire, il vient de passer 15 mois dans un centre de détention. Son père est mort récemment, d’un cancer, et sa mère a déserté le foyer familial (une ferme périclitante) depuis longtemps.
Emmett a aussi un petit frère de 8 ans dont il doit désormais s’occuper et par surcroît, la banque s’apprête à saisir la ferme. Bref, le héros de Lincoln Highway entame sa vie d’adulte sous des auspices plutôt défavorables.
Emmett n’est pourtant pas sans envisager l’avenir. Il dispose d’une voiture, qu’il a achetée avant son incarcération grâce à un salaire durement gagné, et d’un pécule de 3000 $ que son père a pu cacher aux créanciers. C’est ainsi que les frères Watson décident de quitter leur ville natale de Morgen, Nebraska, et d’aller retrouver leur mère qui vivrait en Californie. Las! Bientôt surgissent Daniel (surnommé « Duchess ») et Woolly, deux « codétenus » d’Emmett en cavale qui ont leurs propres projets et viendront tout chambouler. Le quatuor se met en route, mais le voyage est à peine commencé que Duchess et Woolly volent la voiture et l’argent d’Emmett. Emmett et Billy se lancent donc à la poursuite des deux autres qui, eux, roulent en direction des Adirondacks, dans l’État de New York. Cette traque constitue le motif du livre.
Après la guerre de Troie, dans laquelle il a joué un rôle clé, le héros mythologique Ulysse a mis dix ans à revenir à Ithaque, l’île dont il est le roi. Ce troisième roman de l’écrivain américain Amor Towles court pour sa part sur dix jours. Dix journées intenses, il va sans dire, et fertiles en aventures et revirements rocambolesques.
Rien dans tout cela, remarquez, ne saurait effaroucher le jeune Billy, lui qui se berce de livres comme Le Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas, ou encore Compendium des héros, aventuriers et autres voyageurs intrépides, du professeur Abacus Abernathe, un auteur inventé de toutes pièces par Amor Towles. Abondent aussi les allusions à Shakespeare (Hamlet, Le Roi Lear…), généralement servies celles-là par Duchess, dont le père est un acteur shakespearien plus ou moins raté. Sans oublier Homère et son Odyssée. Parmi les rencontres que font les frères Watson figure d’ailleurs un certain Ulysse, un soldat qui pérégrine de train en train depuis maintenant huit ans sans parvenir à rentrer chez lui.
Ce soldat, rentré d’Europe à la fin de 1945, après la Seconde Guerre mondiale, désespère de retrouver sa femme et son fils. Il faut préciser que l’histoire se déroule en 1954 (quelques semaines avant le 4 juillet, date qui a ici une grande importance). L’époque a son charme. Le roman est quant à lui irrésistible, en raison d’une galerie de personnages hauts en couleur, d’une intertextualité toujours plaisante quand on aime la littérature et de fort judicieuses réflexions d’ordre existentiel. La vie n’est pas un livre de contes, elle est plutôt un livre de comptes, se convainc-t-on à la lecture de Lincoln Highway.