Pour ne laisser personne dehors

Par David Johnson
Publié le 18 février 2023
Un après-midi de février devant l’église Saint-Roch. Photo: DDP

La vague de froid du début février était une urgence pour ceux sans logement ou sans autre lieu chaud auquel ils devraient avoir droit. L’urgence a mis à l’épreuve les ressources déjà inadéquates pour faire face à la crise d’itinérance à Québec. Avec des températures en bas de -30°, il fallait agir vite pour trouver des solutions et s’assurer que personne n’était laissé dehors.

Le constat de Mary-Lee Plante, organisatrice communautaire au RAIIQ: « C’était loin d’être parfait, mais il y a eu une nette amélioration par rapport à ce qu’on a pu voir dans les dernières années.»

La Ville et le CIUSSS ont été appelés à jouer un rôle de leadership, ce qu’ils ont réussi à faire. Mary-Lee Plante déplore cependant un manque de ressources et de planification structurante nécessaire pour faire face à la crise de l’itinérance; à chaque année le milieu doit répondre aux urgences à la pièce. « On est maintenu dans cette précarité qui ne nous permet pas de nous déployer comme on voudrait. »

Les refuges à leur limite

L’Auberivière, le YMCA, la Maison Dauphine, le Projet LUNE, la Cheminée nocturne… « tout le monde est allé à son max. C’est sûr qu’il n’y avait pas de lits pour tous » – dans un réseau de refuges déjà saturé à Québec. Mais une place au chaud a été fournie à tout le monde dans le besoin.

Les services aux itinérants, en manque chronique de ressources, ne sont pas capables de répondre aux besoins de façon fiable. « Pourquoi c’est plus acceptable de laisser quelqu’un dehors quand il fait -20°, mais pas lorsqu’il fait -40°? » se demande-t-elle. « Ou bien quand il pleut pendant trois jours où toutes leurs affaires sont mouillées? C’est à la longueur de l’année qu’il faut avoir un continuum de services consolidés – et non pas juste au centre-ville.»

Mary-Lee fait la comparaison avec le système hospitalier : « On investit là-dedans; des lits il y en a, personne ne remet ça en question. Pourquoi est-ce que ce serait différent pour des ressources pour des gens en situation d’itinérance? » Selon elle, la norme devrait être qu’il y ait une place pour tout le monde.

Plus de ressources mènerait à plus d’itinérance? « C’est tellement l’fun d’être en situation d’itinérance », répond Mary-Lee, avec sarcasme. « On est vraiment dans des vieux préjugés … À un moment donné, est-ce qu’on ne peut pas juste accepter l’humain dans toute sa diversité?»

« Si on avait les moyens de nos ambitions, on aurait un beau filet communautaire et ça aurait un impact réel sur les conditions de vie des gens en situation d’itinérance. Du moment que tu améliores les conditions de vie, que tu leur donnes un peu d’espoir, que tu leur donnes une dignité et reconnaît leurs existences tels qu’ils sont, après ça, pourquoi est-ce que la personne ne voudrait pas aller mieux? »

Les seuils d’acceptabilité

Durant la vague de froid, les refuges ne refusaient personne, contrairement à ce qui peut se passer en temps normal. Mary-Lee note que les refuges n’ont pas vraiment le choix sauf de restreindre l’accès à leurs ressources. « Si tu acceptes certains comportements, ça peut être au détriment de quelqu’un d’autre. »

Les refuges comme l’Auberivière, qui servent un relativement grand nombre de personnes, doivent avoir des critères plus serrés quant aux comportements acceptables dans leurs milieux, selon Mary-Lee. « C’est important d’avoir des organismes plus spécifiques qui vont répondre à ces besoins. » Le projet LUNE, par exemple, est un refuge pour femmes, qui ne refuse pas les personnes ayant consommé, et ceci notamment pour leur propre sécurité. « Il n’y a pas d’autre option », observe Mary-Lee.

Le Local

La fermeture en 2022 du Local, « le fameux Local », le lieu de rencontre au sous-sol de l’église Saint-Roch, est « une blessure qui reste dans le milieu », selon Mary-Lee. « C’est encore difficile aujourd’hui parce que les conséquences, la pression, de l’absence d’un lieu comme ça se fait toujours sentir. »

La Ville de Québec a annoncé qu’elle deviendra le locataire du sous-sol de l’église et il y a une possibilité que ce lieu servira encore la population itinérante. Pour le RAIIQ: « Il manque des ressources, des milieux de vie notamment. C’est quelque chose d’essentiel. » Le Local permettait aux itinérants d’avoir un sentiment d’appartenance à un endroit, d’être accueilli, de rencontrer du monde. Le Local avait ses enjeux, liés au fait que c’était le seul endroit de ce type et était appelé à servir un grand nombre de personnes. « La solution est d’avoir plusieurs petits locaux ici et là – en périphérie aussi. »

Besoin de services à plus petite échelle

« Le centre-ville est la pointe de l’iceberg de ce qui se passe ailleurs », selon Mary-Lee Plante. «Des gens qui n’ont pas de services s’amènent vers le centre-ville, se concentrent, ça accentue les tensions. » Sans compter que les gens qui viennent en ville pour ces ressources doivent s’éloigner de leurs milieux de vie et leurs réseaux, ce qui peut créer d’autres difficultés pour eux. En plus, « ce n’est pas tout le monde qui aime aller dans des ressources où il y a plein d’autres gens.»

«On a quand même un beau filet de ressources dans la région de Québec», selon Mary-Lee Plante. « Mais on sent qu’on atteint notre point de rupture avec la pandémie, avec la pénurie de main d’œuvre… on est capable de faire un peu plus une fin de semaine durant le grand froid pour que personne ne meure mais la norme devrait être qu’il y a de la place pour tout le monde » conclut-elle

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