Ma foi

Par Michaël Lachance
Publié le 19 avril 2023
Écriture no 2 (détail), acrylique sur toile, Klödy T.

“Le scepticisme est le commencement de la foi.” Oscar Wilde

 

Bobby a marché devant, Doc a cuvé son vin avec de l’eau. C’est en 2006 que ça a scintillé pour notre héros. Perdu, en quête de repères – la poutine habituelle –, il est tombé fortuitement en bas de sa chaise dans un bar à trois clients. Un mal de dos horrible l’a obligé à consulter local.

Doc n’a pas l’habitude des voyages. On ne le connaît pas pour ça. Une femme l’a convaincu de faire un voyage dans l’ouest. Il a hésité, puis s’est laissé convaincre. Il eut mieux fait de faire confiance à son instinct. À peine arrivés à Trois-Rivières, elle l’abandonnait pour un gars rencontré à la cantine.

*

On ne devient pas médicastre en épluchant les journaux. Doc s’est ressaisi. Ce n’est pas une furieuse de l’amour qui l’empêcherait de faire ce voyage en Oregon.

La frontière a été pénible à traverser, car, c’est toujours pénible à traverser.

L’illumination

Bobby se tenait droit comme un poteau :

– Sans dessein, dégage! dit Doc.

Une discussion sans discontinuité et improbable a éclaté :

– Le dessein intelligent fait foi de tout.

Ce que Bobby rétorque provoque Doc :

– Et si Dieu est une pâte molle éthylisée qui a fait tout ça avec l’aide de pirates cosmiques ?

Doc rit.

Bobby rit.

*

À Salem, il a l’habitude des cafés, il jette ses pénates dans une couette sur Edgewater et dîne au Annette’S Westgate Cafe. On y servait des burgers typiquement gras et américains.

Une cliente attablée à un jet de chaises a répandu la salière par terre. Il n’a pu s’empêcher une farce plate :

– Vous êtes une salière de Salem!

Comme, à l’évidence, elle ne parlait pas français, elle lui lança :

– You are welcome !

Échange de mots, complicités et bla-bla, elle l’a retrouvé à la couette, ils ont fait connaissance et, dès l’aube, elle est disparue dans la vallée de Willamette, emportant avec elle le portefeuille du futur radié.

Il est passé par le consulat canadien à Portland, on l’a renvoyé à bon port.

Lorsqu’il est rentré chez lui, Doc a eu la certitude d’avoir été touché par cet appendice nouillesque. Il entreprend trois de semaines de jeûne pour témoigner un engagement soudain, inopiné et sincère pour un Dieu largement méconnu de tous, c’est-à-dire Pastafari !

**

Une infirmière a hurlé dans un corridor de l’hôpital. Doc mangeait ses ramen :

Il s’étouffe, vite vite !!!

On l’a emmené à sa chambre. Arrivés, on a sorti une nouille longue de 30 centimètres de la gorge du malheureux. On lui a servi des pâtes si cuites et si fades, le pauvre, qu’il avalait ces précieuses semoules de blé de travers ou à l’envers.

***

Il n’y a pas longtemps, Doc a demandé au personnel de l’hôpital un lieu consacré à la prière. Il avançait au front pour toutes et tous les pastafaristes de l’établissement : lui et une infirmière.

On a hésité à lui fournir ce local de prière. Pourquoi les pastafaristes ?

Doc a imaginé une longue tirade, une diatribe sévère, quelque chose comme un sermon, une envolée littéraire, un plaidoyer manifeste, un cri, une révolte, un appel à la solidarité, un truc de victime ou non ; il a imaginé toutes les façons pour faire du bruit et des éclats.

_

Il a finalement épargné les verres, les sensibilités, les susceptibilités et tout ce qui est inhérent à la colère et la diffusion d’une haine de l’autre généralisée. Pourtant, pour Doc, le chemin est le même pour tout un chacun.

La machine à café

Un matin de novembre, une dame l’a accosté pour lui demander de faire attention à certains mots pouvant être offensants. Il a reconnue cette américaine du café à Salem, disparue dans les lointains.

Doc a le souvenir d’une ondée de pluies fines à l’horizon ; l’ombre de cette dame d’un soir.

Elle feint de le reconnaître. Doc a faim de savoir pourquoi elle parle soudainement en français.

Ils échangent quelques regards, elle pointe son nez fourchu à quelques centimètres du visage figé et coi de Doc et hurle :

« JE NE SUIS PAS UNE SALIÈRE DE SALEM ! »

Doc a riposté :

Peux-tu me rendre mon portefeuille ?

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