Afin de mieux comprendre la perspective des employés de l’État à propos de la transformation numérique, nous avons parlé avec Guillaume Bouvrette, président du Syndicat des professionnelles et des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ).
Le fiasco à la SAAQ qui a capté l’attention du public au début du mois de mars était prévisible et évitable. « Ce qui ressort des commentaires qu’on a eu du terrain, c’est que le personnel avait demandé un report du délai de quelques mois pour permettre des tests supplémentaires, des validations”, selon M. Bouvrette. Les autorités avaient accordé un mois. Évidemment, c’était insuffisant, en plus de l’erreur de ne pas avoir écouté les experts travaillant directement sur le projet.
Selon le président du SPGQ, un autre volet du problème, devenu répandu au gouvernement, est qu’il n’y a simplement pas assez de personnel pour réaliser les mandats de l’État. “On n’offre pas dans la fonction publique des conditions de travail qui permettent de recruter des ressources suffisantes.”
Ce qui crée un cercle vicieux : le fait que le gouvernement peine à attirer et garder le personnel nécessaire pour réaliser ses mandats fait en sorte qu’il y a trop de travail pour ceux qui restent, diminuant ainsi leurs conditions et réduisant leur désir de rester en poste.
C’est surtout le cas en informatique, le secteur le plus touché par la sous-traitance au gouvernement. Selon la recherche du syndicat, le taux de postes vacants en informatique au gouvernement est passé de 7% en 2016 à 12% en 2021. “Je ne peux pas croire que ça n’a pas accentué depuis,” selon M. Bouvrette. “La pénurie de main d’œuvre est criante dans tous les domaines; l’appareil public ne s’en sauve pas.”
Cette pénurie va continuer à compliquer la transformation numérique. Le recours grandissant aux consultants va créer une dépendance envers les expertises, pour la mise en place de ces systèmes, mais également pour leur entretien, mise à jour et gestion. “Est-ce que on n’est pas en train de s’attacher les mains et d’être à la merci du secteur privé?” se demande M. Bouvrette. “L’entreprise privée peut changer, peut fermer ses portes… Que fera-t-on si on n’a pas les ressources, l’expertise à l’interne pour pallier tout ça?”
Le manque d’expertise interne veut dire que c’est le secteur privé qui crée les systèmes informatiques nécessaires à la transformation numérique. Un autre enjeu majeur alors est que les données des Québécois, nos informations personnelles, fiscales, de santé, judiciaires… peuvent être hébergées par des entreprises privées, et possiblement à l’extérieur du pays. La capacité du gouvernement à s’assurer de la protection de ces données est ainsi très limitée. Selon M. Bouvrette, les difficultés de recrutement du secteur public ne sont pas simplement liées aux salaires peu compétitifs. Les régimes d’assurance collective du public sont parmi les moins généreux au Québec. “Dès qu’on veut bonifier, améliorer le régime, presque l’entièreté de la facture est refilée aux adhérents parce que l’employeur ne contribue pas. Dans le secteur privé c’est en général au moins 50% de contributions de l’employeur.”
La perception du secteur public, comme lieu de travail avec des conditions attrayantes, a disparu avec le temps, selon M. Bouvrette. L’horaire variable, la semaine de travail de 35 heures, sont devenus normaux au privé également. » L’avantage concurrentiel de l’État a fondu. » Et le pouvoir d’achat d’un employé de l’État a beaucoup diminué avec le temps. “Aujourd’hui, deux professionnels de l’État québécois en couple ne peuvent pas acheter une maison à Montréal.” On n’a plus du tout la même perception qu’il y a une génération ou deux par rapport à la qualité de vie qu’offre un emploi dans la fonction publique au Québec.