Lettre à Bruno Marchand sur une fresque en préparation

Par Léonce Naud
Publié le 23 juin 2023
Carte de la Nouvelle-France, par Samuel de Champlain, 1612.

 

Monsieur Bruno Marchand, maire de Québec,

Une murale en préparation au futur parc Karim-Ouellet laissera entendre que le fondateur de la Nouvelle-France, Samuel de Champlain, aurait été esclavagiste et que depuis ses tout débuts la Nouvelle-France l’aurait été tout autant. Par association, Louis Hébert, Guillaume Couillard, Marie-de-l’Incarnation, Jeanne Mance ainsi que d’autres ayant vécu à la même époque sous les mêmes lois françaises l’auraient été tout autant. Ce message faux et calomnieux qui vise l’origine même du Québec d’aujourd’hui est d’autant plus inexcusable qu’il est bien connu que l’esclavage était illégal à cette époque en Nouvelle-France. Ce dernier ne devint légal qu’en 1709 sous l’intendant Raudot.

En effet, cette grande murale illustrera un enfant noir du nom d’Olivier le Jeune arrivé à Québec en 1629 à bord d’un navire corsaire anglais, où il était esclave du capitaine David Kirke. La Ville s’apprête à diffuser officiellement une fable colportée depuis des années selon laquelle l’enfant en question, alors âgé de 8 ou 9 ans et probablement originaire de Madagascar, aurait été le « premier esclave noir en Nouvelle-France ». On laissera ainsi entendre que ce jeune noir ayant vécu à Québec de 1629 à 1632, la Nouvelle-France aurait alors été un établissement esclavagiste. Une calomnie ayant pour effet, sinon pour but, de diffamer l’origine même de l’actuelle nation québécoise, calomnie qui s’inscrit dans la mouvance de l’idéologie racialiste.

Une réalité historique bien différente

De 1629 à 1632, période où cet enfant vécut en esclavage à Québec, la Nouvelle-France n’existait plus. Disparue la Nouvelle-France. À Québec, l’Angleterre avait remplacé la France et Olivier le Jeune était l’esclave d’un sujet Anglais, David Kirke, corsaire de son état, sur un sol Anglais soumis aux lois d’Angleterre. De 1629 à 1632, la vingtaine de Français demeurés dans les parages de Québec après le départ de Champlain n’eurent absolument rien à voir avec le statut légal du jeune esclave de ce corsaire Anglais esclavagiste.

Répétons-le : Olivier le Jeune fut esclave d’un Anglais sur un territoire devenu anglais, où les lois françaises avaient cessé de s’appliquer. Il n’existait plus alors de Nouvelle-France. Dès lors, qualifier Olivier le Jeune de « premier esclave noir en Nouvelle-France » est pure calomnie.

En juillet 1632, la colonie anglaise de Québec redevint française. Avant que les frères Kirke ne quittent Québec pour l’Angleterre, un certain Olivier Le Baillif, commis français qui s’était donné aux Anglais, réussit à persuader son patron David Kirke de lui vendre son jeune esclave pour l’équivalent de vingt mille dollars. Puis, dans un geste incompréhensible et à ce jour inexpliqué, ce dénommé Le Baillif donna purement et simplement le jeune ado à Guillaume Couillard, gendre de Louis Hébert et chef de maisonnée.

À la demande de Champlain, Guillaume Couillard et son épouse Guillemette Hébert (fille de Louis Hébert et de Marie Rollet) avaient déjà adopté deux jeunes indiennes à peu près du même âge qu’Olivier le Jeune. Le garçon, durant ses trois ans d’esclavage à Québec sous l’autorité de l’Anglais David Kirke, avait eu tout le temps pour se familiariser avec les Français demeurés aux alentours, dont la famille Couillard. Rester à Québec avec la maisonnée Couillard a pu lui sembler un bien meilleur sort que celui de retrouver sa vie d’esclave sur un navire corsaire. On peut penser qu’il n’a pas manqué de le leur faire savoir.

Enfin, il est plausible que ce soit de l’argent français qui ait défrayé le rachat d’Olivier le Jeune. Le commis Le Baillif aurait alors servi d’intermédiaire auprès de son patron David Kirke pour ensuite remettre le garçon à ceux qui l’avaient payé. D’après l’historien Paul Fehmiu-Brown, la transaction aurait pris place à bord du navire de Kirke, question d’éviter de contrevenir aux lois françaises qui interdisaient l’esclavage, les lois en question ayant repris force à Québec avec l’arrivée d’Emery de Caën en 1632. Ainsi s’expliquerait le geste de Le Baillif qui a remis gratuitement Olivier le Jeune à Guillaume Couillard après l’avoir acheté à fort prix. Selon l’historien Paul Fehmiu Brown : « Les habitants de la colonie défendirent l’affranchissement du jeune garçon. Ils invoquèrent le statut non autorisé de son asservissement sur les terres de la Nouvelle-France ». On ne saurait être plus clair.

Revenons à Marcel Trudel, historien reconnu de l’esclavage en Nouvelle-France : « Aucun texte n’établit qu’Olivier Le Jeune ait été esclave. (…) Nous inclinons à penser que l’ancien esclave des Kirke et de Le Baillif n’était plus chez Guillaume Couillard en état d’esclavage: il a été pris, selon le Jésuite Le Jeune, pour être instruit et baptisé; il reçoit le nom de famille de son père spirituel; à l’inhumation, on le qualifie de domestique. Peut-être sommes-nous en présence d’un simple cas d’adoption ».

Bref, la Nouvelle-France, bien loin d’être une société esclavagiste dès son origine comme le laissera croire la murale racialiste destinée au futur parc Karim-Ouellet, a fort probablement libéré cet enfant noir de son statut d’esclave anglais au profit de la maisonnée du français Guillaume Couillard, où nulle trace d’un statut d’esclave à son sujet n’a jamais été trouvée.

Espérons que la Ville, dont vous êtes le maire, et donc l’ultime responsable, s’apercevra à temps que la prétention d’un Olivier le Jeune « premier esclave noir en Nouvelle-France » est fausse et calomnieuse, sinon la future murale en question sera susceptible d’hérisser un grand nombre de Québécois, à commencer par le Premier ministre François Legault, qui entend redonner de la fierté aux Québécois peu importe la couleur de leur épiderme.

C’est pourquoi je vous prie de vous assurer que soit éliminée de cette murale toute référence à Olivier le Jeune. La Ville pourra toujours revenir là-dessus si les faits exposés ici s’avèrent non fondés.

Veuillez agréer, monsieur le maire, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

 

 

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