Je sais, l’automne est installé. Mais revenons, le temps de ce texte, vers le bonheur commun comme regard «autre» de cet été à Québec1. Ça et là le long de nos routes d’eaux et parcs, l’art à visée communautaire dehors est réapparu. Des cascades moins connues de la rivière Beauport mais surtout le long des rives de la rivière Akiawenrahk (St-Charles), allant de la chute tumultueuse à Wendake jusqu’à l’entrée dans le fleuve, de tels «signaux faibles» par rapport aux grands événements se firent œuvres tantôt sous le pont de l’Aqueduc, entre les passerelles des Trois Sœurs et celle de la Tortue, dans la cour de l’îlot de l’Intendant, au Bassin Louise jusqu’à la Place Royale, inoculant du merveilleux et de l’«ensauvagement » par l’art dans la vie quotidienne.
Une promenade vers les paisibles cascades de la rivière Beauport ne pouvait que tempérer les montées turbulentes des eaux des rivières et les fumées des feux de forêts. À proximité s’y trouve La vie est belle, monsieur Drouillard, un trio œuvré d’ados perplexes par le sculpteur et musicien Jean-Robert Drouillard. Songeaient-ils à la luxuriante installation Les armures de satin, à la mémoire des sororités passées et futures orchestrée par la talentueuse Annie Baillargeon, cocréant avec des femmes aînées engagées dans leur communauté dans Charlesbourg ?
Mais c’est surtout la déambulation artistique estivale le long de la rivière Akiawenrahk / Saint-Charles que ça s’est orchestré. Elle a commencé à Wendake où le Pow wow a connu une étincelante édition marquée par une nouvelle génération de danseuses. Les rythmes et sons autochtones se transporteraient en août au kiosque Edwin Bélanger sur les plaines avec le dynamique spectacle musical du rappeur wendat-guinéen Joseph Sarenhes, entouré de sa sœur dansant en regalia Aisha N’diaye Bastien et de leur père, tandis que les arts visuels s’inséreraient dans les passages insolites à la Place Royale. Entre les deux pôles, bien des surprises.
Sous le pont de l’Aqueduc 2, l’artiste d’origine brésilienne et résidente du quartier St-Sauveur Giorgia Volpe a installé en équipe Le Musée de l’eau. Sous forme de magnifiques cubes vitrés. Ils contiennent des bouteilles de verre stylisées remplies de prélèvements d’eau en provenance de divers endroits du fleuve, de la rivière ou du lac réservoir d’eau potable. Que voilà de l’art public écologiste « glocal », c’est-à-dire invitant à agir ici en ayant une conscience planétaire. À Québec seulement près de 200,000 bouteilles d’eau en plastique sont utilisées tous les jours alors que les défis entourant l’accès à l’eau potable que posent les sécheresses, inondations et ébullitions climatiques, déterminent un enjeu planétaire.
Au Musée de l’eau s’ajoute l’élégante sculpture Biindaakoozh, ce qui signifie et exprime en langue anishnaabe ( a’thekwänonhronhkwänion’ en langue wendat), ce sentiment sacré autochtone du rapport au ciel, à la rivière, aux grands arbres et à la flore. Œuvre de l’artiste Anishinaabé Nico Williams, voilà un bijou d’œuvre d’art autochtone public. Sise à Stadaconé (Limoilou) près de la jolie passerelle de la Tortue, cet ajout nous rappelle qu’il y a plus d’une dizaine de sculptures le long des deux rives avec des noms évocateurs comme Suivre son cour, être rivière ou école buissonnière. 3
Mi-août, d’originaux solos de danse pour simples spectateurs participèrent à notre déambulation artistique le long des berges, avec une pointe au Parc de l’Artillerie. Il fallait y vivre la simplification dansée des fameux tableaux de théâtre vivant d’Où tu vas quand tu dors en marchant? dont l’édition de 2019 s’était installée des deux bords vers la passerelle des Trois Sœurs. Les corps dansés d’une Angélique Amyot, très active comme intervenante sociale par la danse dans la communauté et la présence du réputé Benoît Lachambre entre les arbres de la rivière, en étaient.
Autre escale populaire en se rapprochant du fleuve : la cour de l’îlot de l’Intendant à la basse-ville. L’inventif collectif Théâtre Rude Ingénierie a transformé la cour arrière de son atelier en Place Je dis pour rencontres conviviales, observations du maïs qui pousse, vol des abeilles autour de leur ruche, films environnementaux et pique-niques pour tous.
Laissant le dessin sculpté, Le grand rêve américain de Jasmin Bilodeau aux couchers de soleil sur le quai du bassin Louise, le quidam pouvait monter l’étroite rue/ escalier en pente qui mène de Place Royale à la Côte du Palais, comme Passages insolites, en frôlant aux étages du bâtiment des installations exceptionnelles d’artistes allochtones et autochtones – une première en dix ans d’existence de l’événement – en ce lieu premier de la Nouvelle-France.
L’artiste Atikamekw Nehirowisiw originaire d’Opitciwan Eruoma Awashish, a orchestré son installation animalière Kakike ickote (Feu éternel) dont on aurait dit, avec Kakiwimohowk (ils chuchotent), que certains corbeaux s’étaient échappés des voûtes historiques de ce bâtiment jadis occupé par un commerçant des fourrures vers l’escalier extérieur.
L’étonnant Rassemblement familial (2019) donnait à penser à une maison longue sous forme d’abri tempo aux parcours surchargés de souvenirs d’époque et de lieux de remises comme agencements d’objets. Ici le génie wendat de Ludovic Boney4 ne manquait pas de sourires.
Reflet « fissuré » de la part française de l’alliance commerciale à l’époque de la traite des fourrures, se trouvait l’exceptionnelle Marée noire, une totale prise de possession sculpturale de l’étage premier. Signature de Baptiste Debombourg, des vitres craquelées d’automobiles recouvrant tout, du mobilier au plancher pour se fondre aux murs vitrés visibles de la rue-escalier. Ajoutons-y SmallTalk d’Anthony Mouse, la mignonne miniature des façades de la rue Notre-Dame en soupirail. Les pratiques d’art communautaire publiques, principalement écologistes, sont de retour. Dans tous les cas, ces haltes innovantes donnent encore à penser que l’on peut changer le monde par l’art.