Quand les hôpitaux à Gaza s’écroulent sous les attaques aériennes, la menace de la réforme Dubé en santé pourrait sembler un peu moins imminente et dangereuse. Néanmoins, il y a lieu de nous inquiéter.
La Loi 15, adoptée sous bâillon samedi le 9 décembre, va bouleverser les structures administratives sous prétexte d’efficacité et de gestion rigoureuse. La conséquence est prévisible : les professionnels risquent de quitter le réseau public en plus grand nombre. La privatisation, déjà entamée, va s’accélérer.
Selon Nathalie Déziel de la Coalition solidarité santé, présente à la manifestation du 30 novembre devant l’Assemblée nationale contre le projet de loi 15 : « Le gouvernement choisit d’orchestrer un système où l’État subventionne les compagnies privées pour qu’elles dispensent les soins de santé. On rassure la population en disant qu’elle n’aura rien à payer, que ce sera couvert par la carte soleil, mais ce sont les Québécoises et les Québécois qui collectivement devront assumer des coûts beaucoup plus élevés en santé pour couvrir la portion de profits inhérente à la médecine privée… Le détournement des patients vers le réseau public ne soulage pas le réseau public. Bien au contraire. C’est à la source du problème d’accessibilité. Les travailleurs de la santé ne poussent pas dans les arbres. Chaque travailleur au privé est un travailleur perdu dans le réseau public. »
En plus de donner plus de place au privé, l’agence Santé Québec, c’est une gestion hypercentralisée par des hauts fonctionnaires qui nommeront les membres des conseils d’administration locaux. Santé Québec deviendra l’unique employeur du réseau public. Un top gun, c’est un haut gestionnaire, dans le langage tout à fait révélateur du ministre Dubé. Des top guns vont nommer les directeurs et directrices d’établissements locaux, ce qui enlève toute possibilité d’implication démocratique et citoyenne dans la gestion locale et régionale du système.
Nathalie Déziel : « Nous sommes préoccupés par la représentativité des groupes vulnérables. Nous sommes inquiets des compositions des conseils d’établissements qui seraient évidemment nommés par Santé Québec. Quelle sera la réelle représentativité citoyenne ?… La démocratie, ce n’est pas seulement voter aux quatre ans. Nous souhaitons un système de santé de première ligne publique et communautaire au sein duquel les membres de la communauté ont le pouvoir d’être entendus et de participer aux changements souhaités. »
Le ministre Christian Dubé veut gérer la santé comme on gère une usine industrielle, en top-down, de haut en bas et de manière quantitative. Les soins de santé ne sont pas des actes à l’emporte-pièce, identiques pour chaque patient selon un diagnostic robotisé et informatisé. La qualité des soins dépend d’un très bon jugement de la part de l’équipe soignante, en collaboration avec le patient et ses proches, et en tenant compte d’une foule de critères et circonstances.
Les professionnels de la santé savent bien que l’imposition d’un modèle d’affaires inspiré par une chaîne de montage dans une usine de Toyota, avec ses idées de gestion efficace, ne fait que rendre plus ardu et compliqué leur travail. Le patient ne se résume pas à son dossier informatisé, avec des champs de données préprogrammées, ou à de simples unités de mesure telles l’acte médical, la dose, la consultation, l’opération.
Parce que la gestion supposément « efficace » que prône le ministre Dubé, le soi-disant « ABC » de la gestion, c’est plutôt l’idée de tout réduire aux chiffres et unités de mesure. Comme dans une banque, une compagnie d’assurance ou une usine d’automobiles, tout devient une série de transactions et opérations élémentaires, quantifiables, et surtout économiques.
Tout n’est pas perdu. Il est encore temps de défendre la nature publique, gratuite et universelle du réseau de la santé, mais aussi sa démocratie.
D’ailleurs, lors de la manifestation du 30 novembre contre le projet de loi 15, François Proulx-Duperré de la CSN a proposé: « Ce qu’il faut faire, c’est d’inverser complètement les paramètres pour, premièrement, démocratiser le réseau de la santé et des services sociaux. Mettre des membres de la société civile sur tous les conseils d’administration pour qu’ils puissent jouer le rôle de chien de garde. Le gouvernement ne peut pas créer des structures et placer des hauts fonctionnaires là où il veut, pour complètement sortir la parole citoyenne des établissements ». (En collaboration avec Nathalie Côté)