Le droit de manifester toujours menacé

 W. Stuart Edwards
Publié le 1 juillet 2024
Le 1er juin, un cordon de police encercle un groupe de manifestantes pro-choix. La Coalition pour le droit de manifester à Québec dénonce la répression policière depuis l’adoption du nouveau règlement municipal. Photo: Stuart Edwards

Depuis l’adoption, il y a un an, par la Ville de Québec du Règlement sur la sécurité lors de la tenue de rassemblements sur la voie publique, de nombreux incidents de répression et d’intimidation ont eu lieu.

Les groupes communautaires avaient participé aux débats avant son adoption, mais le règlement tel qu’adopté ne répond qu’aux exigences de la police. Maintenant le SPVQ s’en sert pour menacer et intimider les membres des organisations.

 

« Vraiment, mais vraiment, choqué »

L’arrestation brutale d’Anne-Valérie Lemieux-Breton du RGF-CN, survenue lors d’une manifestation pro-choix, n’est qu’un seul incident parmi tant d’autres. Le 1er juin devant l’Assemblée nationale, un « comité d’accueil » de femmes pro-choix se présente en même temps qu’une manifestation « pro-vie » (anti-avortement). À titre d’organisatrice Anne-Valérie a commencé à expliquer à un policier le déroulement prévu de leur contre-manifestation. Bien qu’elle ne représente aucune menace, elle a été brusquement maîtrisée par une clé de bras, traînée physiquement avec le bras derrière le dos, embarquée dans une voiture de police, puis accusée d’avoir désobéi à un agent de circulation et d’avoir « marché dans la rue ».

Devant l’hôtel de ville

La Coalition pour le droit de manifester à Québec a réagi en organisant un «pique-nique » devant l’hôtel de ville le 18 juin. Plusieurs témoignages d’incidents troublants depuis l’adoption du nouveau règlement ont été présentés. Parmi nos élu.es, seule Jackie Smith est venue écouter les discours. Nicole Dionne du BAIL a une grande déception par rapport à l’attitude du maire Bruno Marchand qu’elle a jugé “paternaliste”. Elle était présente lors de l’arrestation d’Anne-Valérie. « Ça m’a vraiment, mais vraiment, choquée la violence à laquelle Anne-Valérie a été confrontée. »

Les femmes étaient bien préparées et formées, Anne-Valérie était clairement identifiée par son dossard, mais malgré tout « on était traitées comme des moins que rien ». Anne-Valérie elle-même est venue témoigner. En plus de raconter en détail son arrestation, elle a mentionné un incident survenu le 8 mars où un policier avait déclaré qu’il fallait respecter les consignes de la police afin d’éviter « des attaques béliers ». Maxim Fortin de la Ligue des droits et libertés (section Québec) a pris la parole. Selon lui, le conseil municipal est « de très, très mauvaise foi ». La Ville a adopté « l’un des pires cadres réglementaires », un règlement qui impose des sanctions allant jusqu’à mille dollars d’amende.

Quand la Cour d’appel a invalidé l’ancien article 19.2 en 2019, elle a stipulé que le droit de manifester ne devrait pas être encadré, et que la dernière chose à faire, c’est d’imposer des sanctions. « La Ville semble avoir donné carte blanche au SPVQ. » Naélie Bouchard-Sylvain du RÉPAC ne croit pas le maire Marchand quand il affirmait que le nouveau règlement allait « améliorer la sécurité » des manifestant.es. La police se permet désormais de se prononcer sur la fréquence et même la légitimité des manifestations, d’imposer des contraintes, et d’exiger des informations personnelles comme la date de naissance, « pour autoriser la tenue de la manifestation ».

Manifester est un droit et « en aucun cas le SPVQ ne peut autoriser ou non une manifestation ». Les gens ont peur de contacter la police quand ils souhaitent manifester. Des femmes et des personnes racisées se sentent intimidées et infantilisées par un corps de police composé majoritairement d’hommes blancs.

Menace de démantèlement

Antoine était au campement pro-palestinien à l’Université Laval. Une trentaine de policiers sont arrivés avec un camion, prêts à démanteler le campement par la force si nécessaire. Le SPVQ ne leur a donné que dix minutes pour prendre une décision et le groupe a cédé sous la pression. Un rassemblement pacifique quatre jours plus tard a été surveillé par une forte présence policière. « Les gens se sentaient intimidés et humiliés. »

Un règlement inutile et dangereux

Vania Wright-Larin du RÉPAC a organisé une manifestation antiraciste le 23 mars dernier. Il avait donné toutes les informations au SPVQ une bonne semaine à l’avance. Mais l’agente Julie Papineau a demandé que la date, l’horaire et le parcours, soient modifiés, puis le sergent Moore, d’un ton arrogant et menaçant, a remis en question l’utilité de la manif et affirmé que le SPVQ ne pouvait pas l’encadrer puisqu’il y avait le défilé de la Saint-Patrick le même jour. Finalement la manif a eu lieu comme prévu, mais le SPVQ avait « essayé de nous convaincre par tous les moyens de ne pas faire notre manifestation ».

Charles-Olivier Carrier, du comité logement d’aide Québec Ouest, a organisé une manifestation contre le projet de loi 31. Il avait envoyé toute l’information bien avant le 16 septembre, date prévue. Sans réponse de la part du SPVQ, la date arrive et on prend la rue. Dix minutes plus tard un policier arrive. Il ne savait même pas qu’il y avait une manif, malgré qu’on ait fait de la pub pour inciter le plus de monde possible à participer. Alors, on commence à négocier. Le policier est bien fâché. Il faut changer le trajet ; non, on refuse, on fait le même trajet. OK, mais il faut se tasser dans la moitié de la rue. OK, on le fera, mais oups ! Il n’y avait pas assez de policiers pour le gérer. Finalement, on nous laisse prendre toute la chaussée. Charles-Olivier demande à quoi sert le règlement quand les policiers ne le comprennent pas : « Le règlement sert à réprimer les gens, ou ne sert pas à grand-chose, finalement. »

Une expérience en banlieue

Naélie Bouchard-Sylvain milite avec les Amis du boisé des Châtels. Elle leur avait proposé d’organiser une manifestation, les rassurant qu’elle connaissait bien le nouveau règlement. Le groupe accepte. Le 13 avril, lors de la manif, un policier annonce : « Si vous n’êtes pas cinquante personnes, vous ne prenez pas la rue. » Cela n’est pas dans le règlement, mais le policer persiste : « Oui, c’est dans le règlement ! » Puis il demande la date de naissance de Naélie, ce qu’elle refuse parce qu’il n’avait pas le droit de lui demander. Une manifestante déclare : « Naélie ! J’ai donné la mienne ! » D’autres tentent de calmer le jeu mais le policier hausse le ton et après quelques prises de bec, Naélie cède.

Les manifestants prennent la rue, sur le boulevard de l’Ormière, mais la police ne bloque qu’une seule voie, les autos passent vite et c’est dangereux pour les enfants. Plusieurs personnes ne connaissent pas leurs droits et pensent que la police a raison: « Ça ne donne pas le goût de refaire une autre manifestation, » se désole Naélie.

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