Ce n’est pas rien… 50 ans de vie pour un journal qui se dédie aux luttes urbaines et populaires des quartiers centraux de la ville de Québec ! Surtout si on relie ces 5 décennies passées au contexte social et politique d’aujourd’hui où la rumeur des grands médias officiels, alliée à celle bavarde et fragmentée des médias sociaux, ont peu ou prou transformé le traditionnel quatrième pouvoir des médias en un pouvoir largement sous influence.
Comment dans ce contexte médiatiquement si asphyxiant, ne pas trouver quelque chose de prometteur et d’encourageant, à cette présence obstinée du journal Droit de parole sur la scène médiatique de la Capitale nationale ?
Après tout, il ne s’agit que d’un journal militant d’informations locales tiré sur papier à quelques milliers d’exemplaires, rappelant avec le peu de moyens dont il dispose les préoccupations de « la société civile d’en bas » ainsi que ses aspirations à « un autre monde possible ». Car ce que Droit de parole a toujours cherché à faire, c’est de rendre compte des exaspérations et préoccupations de ceux et celles qu’on oublie trop souvent, tout comme des raisons de fond –économiques, environnementales et culturelles – qui les mobilisent et les font vouloir se faire entendre coûte que coûte.
C’est là une bataille toujours à recommencer entre le petit David armé de sa seule fronde de journaliste artisan, et le géant Goliath bombant le torse et paradant sous l’armure de ses algorithmes tout puissants ?
Il faut dire que Droit de parole est né dans une époque faste pour les luttes sociales et politiques, celle des années 1970, dont il a sans doute gardé une partie de l’élan subversif.
C’était une époque dont nous sommes loin aujourd’hui et qui emportait avec elle d’intenses volontés de changement collectives, elles-mêmes marquées par une audace et un optimisme tels que tout paraissait possible, jusqu’à l’idée de faire naître un pays, le pays du Québec.
C’était une époque où les groupes de citoyens étaient particulièrement actifs et entreprenants et où surtout il existait au Québec un projet collectif à travers lequel les luttes les plus locales prenaient un sens et pouvaient s’inscrire dans la durée. Droit de parole était d’abord l’instrument médiatique, l’organe de presse des groupes communautaires ou comités de citoyens en lutte. Il était donc très directement leur porte-voix, l’expression même de leurs combats : une sorte de mini quatrième pouvoir plus militant, dénonciateur et critique que celui de ses porte-parole officiels ; susceptible donc de contrebalancer les énormes pressions qu’il subissait déjà.
C’est là que s’est forgé le projet de fond de Droit de parole : faire contrepoids au pouvoir des puissants ; faire entendre la voix des sans voix ; et surtout ne pas craindre de le faire, à l’encontre des diktats des différentes administrations municipales, si souvent soumises aux intérêts des grands lobbies économiques et financiers de la ville.
Droit de parole a donc développé un ton militant et souvent iconoclaste, une liberté éditoriale critique et alternative qu’il n’a jamais perdue et qui fait son originalité. Et cela, malgré tous les obstacles qu’il a pu rencontrer en chemin : la peine récurrente à trouver et former une relève en termes de rédacteurs ou de journalistes, ou encore la difficulté à assurer des revenus financiers suffisants, à permettre des parutions régulières, à rester au cœur de l’actualité militante tout en faisant connaître plus largement son message.
Contre vents et marées, Droit de parole a tenu le coup, ne cessant de raviver dans le ciel de Québec ses étincelles de rébellion et d’espérance. Voilà ce qui reste prometteur et nous pousse à imaginer quelques uns des objectifs qu’il pourrait se donner pour les 50 prochaines années.
Car à l’heure des GAFAM, de la montée du populisme de droite et des périls écologiques, il n’est pas interdit de rêver à ce dont on aurait besoin aujourd’hui en termes d’information locale ou régionale à Québec ? Oui, pourquoi ne pas imaginer – en cherchant à disposer de plus de moyens et à cibler mieux son message — que Droit de parole puisse élargir son bassin de lecteurs et de lectrices, bien au-delà du cercle d’initiés et de militants convaincus ? Et pourquoi ne pas rêver qu’il puisse devenir – dans le contexte de la ville de Québec – un authentique et puissant cinquième pouvoir médiatique critique et alternatif, capable de tenir tête au discours médiatique dominant devenu si dépendant des intérêts sonnant et trébuchant de grands groupes économiques et financiers de la région ?
Et au passage, en allant à rebrousse-poil de toutes les tendances à l’œuvre, pourquoi ne pas s’acharner à préserver un journal qui paraisse aussi en format « papier », accessible donc à ceux et celles qui, si nombreux encore, ne peuvent faire usage du web et auraient pourtant droit à disposer de moyens adaptés pour rester informé de ce qui se passe dans leur ville ?
Il en va de cette convivialité culturelle, urbaine, communautaire et citoyenne à laquelle Droit de parole s’est toujours dédié. Une autre de ses originalités !
Donner vie et force à ces idées en germe, travailler pas à pas à mettre sur pied, avec tant d’autres, ce cinquième pouvoir critique et alternatif, n’est-ce pas ce à quoi les 50 ans d’étincelles de rébellion et d’espérance de Droit de Parole ne cessent de nous convier aujourd’hui ?