« Pour bien juger des beautés et de la diversité d’aspects de Québec, il faut en faire le tour, non pas une fois, mais plusieurs fois, et le parcourir en tous sens. Il faut arriver de l’est et de l’ouest, par terre et par eau, du nord et du sud; il faut y entrer, en sortir, […] et plonger ses regards dans les rues transversales ; car toutes sont autant de portes ouvertes sur des perspectives nouvelles, les unes sur la campagne, les autres sur le fleuve, celles-ci sur des faubourgs ou des quais, celles-là sur les vallées et les montagnes environnantes ».
A.-B. Routhier, Québec et Lévis à l’aurore du XXe siècle, Montréal, 1900, p. 3-4.
« Québec est réputée internationalement pour la beauté de ses panoramas et de son architecture » Ma Ville, d’un arrondissement à l’autre (Bulletin municipal), Québec, déc. 2013
Que serait la ville de Québec sans ses panoramas qui s’ouvrent vers les lointains dans presque toutes les directions ?Les panoramas de la terrasse Dufferin et de la rue des Remparts sont connus mondialement ; ils ont été célébrés par de nombreux artistes—comme les aquarellistes James Pattison Cockburn, Philip John Bainbrigge et Millicent Mary Chaplin—avant de faire l’objet d’aménagements urbains destinés à les mettre en valeur.
Aujourd’hui, on ne construirait pas de grands immeubles en Basse-Ville devant ces magnifiques points de vue. Il y a bien entendu l’Édifice Dominion sur la rue Saint-Pierre, datant de 1911, qui dépasse légèrement le sommet du cap devant la rue des Remparts à l’est, mais il est clair que cet édifice ne constitue en rien un précédent qui pourrait justifier l’érection d’immeubles de semblable gabarit dans une position similaire.
Par comparaison, on constate aujourd’hui que les panoramas vers le nord-ouest, ceux qui se déploient devant le faubourg Saint-Jean-Baptiste, ne sont pas l’objet du même respect, et quelques bâtiments récents commencent déjà à transformer le paysage d’une manière profondément insensible de ce côté. Mais actuellement, le débat porte sur une tour de 20 étages proposée par le groupe Trudel à la pointe de l’îlot Dorchester.
Tel que présenté lors de la séance d’information organisée par la Ville de Québec le 23 octobre dernier, ce projet aurait un impact majeur dans le panorama de la rue Saint-Real et de l’escalier du Faubourg : un problème qui a été souligné à répétition par le public pendant la période de questions. Le panorama qui se déploie le long de la rue Saint-Real et devant l’escalier du Faubourg, dont le sommet prend la forme d’un belvédère public, est pourtant tout aussi caractéristique de la ville de Québec que ceux du côté est, et pas moins essentiel au caractère et à l’ambiance du faubourg Saint-Jean-Baptiste que ces derniers pour le Vieux-Québec. Et inversement, à partir du quartier Saint-Roch, plusieurs points de vue révèlent au passant l’importance du coteau Sainte-Geneviève dans la topographie de Québec —tout comme d’autres points de vue, situés près du bassin Louise ou de Place Royale, laissent facilement apercevoir le promontoire du Vieux-Québec. Ce panorama ainsi que les points de vue publics qui lui répondent en basse-ville inscrivent dans les faubourgs les éléments paysagers les plus caractéristiques de la ville de Québec, et il est essentiel de mieux les protéger.
La difficulté fondamentale que pose la tour de 20 étages projetée à l’îlot Dorchester tient à sa proximité au coteau Sainte-Geneviève, une position qui rendrait son impact dans le paysage beaucoup plus important que celui d’un édifice de même hauteur situé à une plus grande distance. C’est pourquoi il est essentiel de se rappeler qu’en 2017, la vision urbanistique du secteur concerné a été définie dans le PPU Secteur sud du centre-ville Saint-Roch—un document que la Ville a produit afin de définir une vision d’ensemble cohérente du secteur et éviter la multiplication des demandes de dérogation réglementaire à la pièce. Soulignons aussi que cette vision a été élaborée sur la base d’une grande consultation publique ouverte à tous les acteurs concernés (voir la section « Aménagement urbain » du site Internet de la Ville). Ce PPU reconnaît l’importance des vues et des panoramas dans le secteur des faubourgs, et il affirme la volonté de « [p] réserver les perspectives visuelles d’intérêt lors des choix d’implantation des bâtiments » (p. 43). En outre, il qualifie la vue depuis la rue Saint-Réal comme un « panorama remarquable » (p. 20).
Bien entendu, l’impact visuel de la tour de 20 étages envisagée à l’îlot Dorchester n’est qu’un seul élément parmi bien d’autres dans le projet en question. Mais tout bon projet architectural doit équilibrer de multiples considérations, dont la pertinence sociale, le respect du contexte urbain et l’impact sur la qualité de vie du quartier, en plus de respecter les contraintes programmatiques, techniques et budgétaires. Tel est l’art complexe et délicat de la conception architecturale…, et ce n’est pas l’inclusion d’une épicerie à volume ou de quelques toitures vertes qui pourrait compenser à nos yeux l’impertinence urbanistique d’un immeuble de 20 étages à une telle proximité du coteau Sainte-Geneviève. Il en revient ainsi aux élu.e.s municipaux de faire appliquer le PPU de 2017 non pas de manière dogmatique, mais certainement dans son esprit, et de défendre ses principes fondamentaux lorsqu’ils sont remis en question.