Amorcée il y a près de trois décennies déjà, la publication de L’état du Québec peut être considérée désormais comme une tradition. Une tradition qui trouve périodiquement à se renouveler.
Au départ, L’état du Québec (auparavant L’annuaire du Québec), une initiative de l’équipe du journal Le Devoir, se présentait comme un bilan de l’année sur les plans politique, économique, social et culturel auquel se greffaient entre autres des statistiques diverses et des caricatures réjouissantes. La formule, tout en s’agrémentant de variantes, semblait immuable. Or de bilan il n’y a plus guère. Du moins, pas au sens strict. Ainsi L’état du Québec 2025 propose-t-il « des rencontres, un espace de dialogue et des réflexions » qui prennent appui sur une certaine actualité et que chapeaute le thème de l’émotion.
L’Institut du Nouveau Monde, aux commandes de L’état du Québec depuis quelques lustres, nous invite donc à nous interroger cette fois sur la place que prennent les émotions dans les différentes sphères de notre société, qu’il s’agisse de la gouvernance, de l’économie, de l’administration de la justice ou encore de la langue (française).
Longtemps les émotions ont été opposées à la raison, et les montrer apparaissait comme un signe de faiblesse. Puis s’est produit un changement de paradigme auquel l’avènement des médias sociaux, qui installent et normalisent une culture de l’immédiateté, a fortement contribué. Résultat des courses : un Donald Trump étale ses « émotions » à pleins gazouillis et on ne s’en formalise plus guère…
Mais quoi qu’il en soit des phénomènes qui ont pu conduire à leur réhabilitation ou à leur légitimation, aujourd’hui, les émotions « sont vues comme de véritables leviers d’action face à l’apathie ambiante », souligne dans l’avant-propos Josselyn Guillarmou, codirecteur de l’ouvrage. À condition d’être utilisées à bon escient, a-t-on envie d’ajouter. La colère d’un individu ou d’un groupe peut dériver vers le pire. L’empathie manifestée par des membres de la classe politique peut passer pour de l’hypocrisie.
« Je ne tente pas de contrôler mes émotions à tout prix », dit l’ex-maire (de Québec) Régis Labeaume. On avait deviné… Régis Labeaume était invité à revenir sur l’attentat de la grande mosquée de Québec dans le cadre d’une discussion menée par Brian Myles, directeur du Devoir. Y participaient aussi Constant Awashish, grand chef du Conseil de la Nation Atikamekw (mort de Joyce Echaquan au Centre hospitalier de Lanaudière en 2020) et Émilise Lessard-Therrien, ex-députée de Rouyn-Noranda Témiscamingue (crise de l’arsenic à Rouyn-Noranda).
D’autres « discussions » sont présentées ici, en plus de textes-témoignages (notamment France Bélisle, qui a démissionné de la mairie de Gatineau en février) et d’articles de spécialistes. Un tel mélange peut surprendre de prime abord, mais contribue à rendre le livre accessible et vivant. L’ouvrage souffre en revanche d’une féminisation tous azimuts et outrancière qui devient vite lassante avec ses « élues et élus », « celles et ceux », « Québécoises et Québécois », « elles et ils », « adhérentes et adhérents » et j’en passe. Ce n’est franchement pas heureux.