Paryse Martin serait en maudit après Trudel

Par Hélène Matte
Publié le 5 février 2025
Illustration (détail): Hélène Matte

Parmi l’ensemble des grossièretés que nous donne à voir le projet que propose l’entrepreneur Trudel pour l’Îlot Dorchester, il en est une dont on parle peu mais qui n’est pas moins scandaleuse. Oui, sa folie des hauteurs donne le vertige. Oui, le Greenwashing qui obnubile le Conseil de quartier Saint-Roch est des plus outrageants. Oui, le chantage économique du « sans hôtel de 20 étages, nous n’y arrivons pas financièrement» est aussi risible que méprisant (Trudel corporation vise ouvertement des gains de 100 millions par année, selon un article du journal Le Soleil). Que Trudel ait fait savoir à grand coup de publicité qu’il soutenait la cause du Cancer du sein, juste avant le dépôt de son projet, vraisemblablement pour favoriser l’opinion publique, est abject. Oui, que sa prétention à tenir compte des avis de la population est fourbe, et qu’il utilise les consultations publiques pour détourner les avis (le 16 janvier 2025, nombreux citoyens affirmaient que la hauteur qu’il cherche à imposer est démesurée. Pourtant, le lendemain, ses sbires jappaient aux médias qu’ils avaient fait leurs devoirs, et qu’ils attendaient prestement l’aval de la Ville). Oui, d’avoir acheté le terrain en toute connaissance de cause, pour vouloir modifier son Programme particulier d’urbanisme (PPU), établi il y a à peine quelques années, est d’une arrogante malveillance.

Oui, tout cela est flagrant et il faut y revenir. Mais il a une chose, sournoise et non moins ignominieuse, qui s’immisce dans le document qu’a présenté l’entrepreneur le 23 octobre, dont l’intitulé contient fallacieusement le mot « respect ». En page 39, on trouve au cœur du petit parc que Trudel daigne aménager, une œuvre d’art publique en hommage à l’artiste Paryse Martin. D’abord, soulignons qu’une œuvre d’art publique est le fruit d’un processus régi par des règles, encadré par une loi provinciale (d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement). Son choix est décidé par un comité consultatif. Trudel s’ingère donc ici dans un processus démocratique et est présomptueux en croyant flatter les nombreux admirateurs et amis de l’artiste. Encore faut-il porter attention à l’œuvre qu’il donne en exemple pour comprendre qu’il se fourvoie doublement. Une chape de verre surplombe un lapin d’or, juché sur un socle de marbre blême. On jurerait un chocolat de Pâques Lindt encapsulé en suppositoire. Ça ne passe pas. Tous ceux ayant connu l’imparable Paryse Martin salueront une volonté (honnête) de lui rendre hommage.

Encore faut-il l’avoir connu, justement, pour savoir que le simulacre présenté par Trudel Corporation ne lui va pas à la cheville. Paryse Martin était exubérante et son sens critique d’une finesse implacable. Elle avait un tempérament batailleur, d’ailleurs aguerri aux luttes urbaines. Elle a contribué notamment à l’aventure de l’Îlot Fleurie et aux revendications d’ateliers d’artistes. Qu’on use sa mémoire pour vendre un projet architectural dont l’impériosité est sinistre, la révolterait.

Paryse Martin défendait des esthétiques extravagantes, des ornementations affriolantes et des imaginaires incendiaires. Elle était authentique. Elle était gaillarde. Elle était espiègle. Pour lui rendre hommage, que Trudel Corporation fasse appel, rien de moins, aux héritiers de Gaudi. Qu’il transforme sa tour-hôtel en un grand pénis couvert de mosaïques (pas plus de 10 étages, de grâce). En plus d’honorer l’opulence et l’insubordination propre à l’artiste, la construction aurait ainsi la qualité, seule, de montrer la vérité de son projet phallocrate.

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