Projet de l’îlot Dorchester : voie de passage

Par Mario Jobin, architecte
Publié le 10 février 2025

 

L’horizon, de la rue Lavigueur. Photo: R. Martel

La tour est une question sur les limites. « Les réponses architecturales sont connues : les points importants d’une tour, la base et l’arrêt des derniers étages… La tour proposée est sans fins : elle disparaît dans le sol… elle disparaît dans le ciel. » Jean Nouvel, architecte, Tour sans fins.

À Québec, lors de la consultation publique du 23 octobre sur le projet de l’îlot Dorchester, personne ne s’est interrogé à savoir pourquoi, comme architecte, j’ai clairement affirmé que la hauteur du projet ne changeait rien à la « question comme telle ».

La population ne devrait pas avoir à en « débattre publiquement » puisqu’il revient à l’administration publique d’encadrer convenablement le développement urbain, en amont. Le projet de l’îlot Dorchester, à l’instar de ce qu’affirme Jean Nouvel, devient inévitablement « une question de limites » : voilà la vraie question, comme telle.

Le vrai maire

En 2014, à Dalian, importante ville portuaire au nord-est de la Chine, près du golfe de Corée, j’ai eu l’exquise expérience, en tant qu’architecte invité, d’entendre ce respectable maire, céder symboliquement, avec tact et humour, ses privilèges au riche et puissant promoteur immobilier assis à sa droite, en disant : « le vrai maire, ce n’est pas moi, c’est lui. »

À Québec, les « pratiques urbaines » adoptées par l’ancienne administration tendent à favoriser les promoteurs et à niveler l’environnement : pour produire une ville fade. La nouvelle place de l’hôtel de ville, le projet des condos Circa et maintenant le projet de l’îlot Dorchester sont des exemples probants « de nivellement ». La méthode consiste, entre autres et pas uniquement, à « planter » un édifice de plus haut gabarit quelque part pour que les futures constructions des promoteurs viennent s’y « arrimer » — par le haut — sans trop d’opposition. Ainsi, la récente tour Fresk, sortant de nulle part, sert de « référence » au projet de l’îlot Dorchester.

Construire par le haut

Jean-Claude Marsan, architecte et urbaniste émérite, a clairement énoncé que des éléments naturels, comme le fleuve, la vallée et les montagnes, « acquièrent, particulièrement en milieu urbain, une valeur symbolique reconnue dans toutes les cultures ». Pour les quartiers centraux de Québec, la falaise nord-est d’une richesse bien au-delà de tout « édifice signalétique » érigé sans autre considération que celle de la rentabilité.

Montréal a son point de référence : nul ne peut construire plus haut que le Mont-Royal. À Québec, la forme urbaine, côté nord, doit se définir à l’aide d’une kyrielle de « points de référence » distribuée le long des dénivelés, en haut de la falaise. Autrement dit, sans analyse rigoureuse ou sans démonstration, on dit n’importe quoi. C’est actuellement le cas avec l’îlot Dorchester.

Or, il existe d’autres exemples dans le monde de « constructions par le haut ». Pétra (« rocher »), en Jordanie, cité millénaire reconnue par l’UNESCO, sculptée à même la colline de grès, a exigé de tailler le roc « en commençant techniquement par le haut ». C’est ce qu’il faut faire à Québec. À partir de points d’observation, bien définis, en considérant les champs visuels à protéger et la composition urbaine recherchée, on pourra rigoureusement définir les contours d’une ville en devenir, côté nord, en basse-ville.

Voie de passage

Gérard Bouchard, historien et sociologue, en parlant récemment de convergence a décrit, sans le savoir, une «approche en architecture» qui a fait ses preuves. En décrivant la Révolution tranquille, il écrit : «[…] une avancée dans l’une se répercutait dans les autres, ce qui favorisait le mouvement de l’ensemble… la pluralité des trames se fondait dans une action commune qui amplifiait leur impact en les conjuguant.» Un projet porteur se reconnaît dans « l’apport à l’ensemble » ; on parle alors de conjuguer le paysage, naturel et construit.

La cité est rythmée par le mouvement du soleil. Perdre ce rythme est une autre forme d’appauvrissement. Les « fameux couchers de soleil », à l’ouest, au-dessus des montagnes, possèdent une valeur symbolique bien réelle et recherchée. « L’hôtel signalétique » du projet de l’îlot Dorchester s’appropriera, sans retenue et sans gêne, cette vue exceptionnelle, bien collectif. Or, il existe une « voie de passage » : celle de partager ces couchers de soleil.

Cette proposition n’est pas plus insensée que d’éventrer la rue de la Couronne, pour y laisser surgir un tramway et rendre Dorchester à double sens.

Brève esquisse

À partir du cul-de-sac de la rue Saint-Réal, il faut prolonger le parcours et s’avancer — en hauteur — vers l’horizon et les couchers de soleil, direction îlot Dorchester. On reporte le « belvédère » de la rue Saint-Réal, plus loin, dans le projet de l’îlot Dorchester. On doit pouvoir atteindre une terrasse élevée — publique — pour ensuite descendre vers le sol (Place Québec adopte, à sa manière, ce genre de circulation, sous l’hôtel Hilton), vers une large zone ouverte, une « place du marché, une mini place D’Youville ». Ce qu’on prend en hauteur devrait permettre de libérer le sol et de compenser pour la perte de la place Jacques-Cartier, absorbée par la tour Fresk.

Rien d’insensé ici. À Chicago, au « Millennium Park », on a ce genre de « pont-promenade » vers le lac. À Shenzhen, en Chine, nous avions ce genre de « périphérique pour piétons » (diamètre 180 m). La ville de Hong Kong a une multitude de trottoirs surélevés en plus d’avoir un système d’escalier mécanique couvert de 800 m de longueur. Souvenons-nous du projet d’escalier de Jean-Paul L’Allier.

Éclater le projet

À l’îlot Dorchester ou ailleurs, près de la falaise, tout ce qui est au-dessus de « quatre à six étages » peut être remis en question. Développer un projet porteur, unificateur, tant pour la basse-ville que pour la haute-ville, est le premier critère à remplir pour l’acceptabilité sociale du site de l’îlot Dorchester. Dans ce cas précis, il faut impérativement reconsidérer l’urgence imposée par les promoteurs — « l’ultimatum » — et exiger un meilleur projet puisque c’est effectivement « une question de limites ».

Magnifier les couchers de soleil, partager cette vue exceptionnelle en reliant le belvédère de la rue Saint-Réal en un parcours surélevé jusqu’au centre d’un projet redéfini, à l’îlot Dorchester est, on ne peut plus, attractif et structurant. C’est une possible voie de passage et assurément « la seule exception qui confirmera la règle ».

« Et les villes s’éclabousseraient de bleu… », Jacques Brel.

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