Projet de l’îlot Dorchester : à contre falaise

Par Mario Jobin, architecte
Publié le 26 mars 2025
Action à l’Îlot Dorchester, le 23 mars. Les opposants au projet se donnent à nouveau rendez-vous samedi, le 29 mars à 13h à Îlot Dorchester. Photo: NC

« La réponse sera politique », M. C.- L., élue de la Ville de Québec.

Or, quelle est la question, comme telle?

Avant de répondre, rationnellement, il faut définir la question. Ici, le « politique » répond à la question avant même qu’elle ne soit posée. On nous prend de court, de vitesse. C’est « l’agilité du maire de Québec » : On pose soi-même les questions et on y répond, le plus souvent possible, en mêlée de presse.

Analyse rationnelle

À partir de quand, un édifice devient-il un « édifice en hauteur »? « Un bâtiment est considéré comme un gratte-ciel lorsqu’il est considérablement plus haut que les structures environnantes et qu’il explose leurs échelles. » À 20 ou 17 étages, dans un tissu urbain de 4 à 6 étages, le projet de l’îlot Dorchester entre dans cette catégorie. Telle aurait pu être la première partie de la réponse.

La deuxième partie de la réponse, c’est qu’il faut faire la démonstration que « l’édifice en hauteur » s’intègre dans son contexte immédiat ET élargi. Ici, tant dans le fond que dans la forme, on s’égare et à « gonfler le projet, hors contexte et hors forme », on déjoue et fait perdre un temps précieux à la population : c’est-ce qu’il est convenu de nommer « construire en haut-fond », bien au-dessus des limites acceptables. « Dans un procès, les juges abordent généralement les questions de forme avant d’examiner le fond de l’affaire ».

Or, ici, par analogie, le contexte urbain – « la forme » – prend toute son importance. Sur quoi repose la « mise en forme » du projet de l’îlot Dorchester? Telle est la question : quel est le « fond de l’affaire ? » Ici, il faut avoir le courage de poser la question.

Le fond

On ne connaîtra jamais à temps « le fond de l’affaire ». Le maire, un sprinter d’expérience (les souliers colorés qu’il arbore fièrement soulignent cet intérêt sportif) et le promoteur amènent tous deux les gens « ailleurs et les délogent » sans qu’ils en aient connaissance de cause et sans pouvoir décider de manière éclairée de l’avenir de leur ville. C’est disgracieux et peu édifiant, tout simplement. Un référendum ferait pourtant l’affaire.

À défaut de pouvoir statuer sur le « fond de l’affaire », vivant en démocratie et dans un état de droit, il ne nous reste que la « forme » à analyser. Or, de l’aveu même du promoteur (23 octobre 2024) : «Le site est malheureusement là, on aurait aimé qu’il soit ailleurs, mais il est là». Comme aveu d’échec, on ne peut trouver mieux. Ici, c’est réglé : aucun intérêt d’intégration urbaine, échec sur toute la ligne. La «digue cède» et le quartier Saint-Jean-Baptiste – entre autres – en fera les frais; un quartier « tout entier », livré au privé, pour un tramway « au pied de votre édifice ».

La forme

Implanté à moins de 100m de la Haute-Ville, « à contre falaise », sans études sérieuses et sans acceptabilité sociale, de manière stratégique, tant de la part de la Ville que du promoteur, sans apport significatif à une composition urbaine équilibrée, le projet de l’îlot Dorchester ne répond qu’à des objectifs économiques et à celui d’implanter un tramway. C’est mettre « la charrue devant les bœufs ». Le tramway peut se faire sans dilapider le paysage urbain et naturel de Québec.

Un calque de Chine

Beijing, Hong Kong, Shenzhen, Guangzhou sont des villes dans lesquelles j’ai vécu. Changchun, Ningbo, Qingtao, Fushan… sont des villes dans lesquelles j’ai œuvré, en tant qu’architecte-concepteur, sur bon nombre de projets similaires à ceux du Groupe Trudel. Or, nous ne sommes pas Chinois et n’avons pas le même mode de vie. Nous ne vivons pas en silos, au-dessus de centres commerciaux, et aimons nos quartiers, à l’horizontal, de peu d’étages. Le «modèle d’affaire» des Trudel est donc limité dans le temps, raison d’agir rapidement à l’îlot Dorchester, avec placement « d’ultimatums » aux élus et à la population.

Le contexte

En 2023, à voir le maire de Québec gravir la falaise de Lyon, ville deux fois millénaire, au sommet de la colline de Fourvière, comme à Saint-Jean-Baptiste, à Québec, profiter d’une vue d’ensemble de la ville, d’un champ visuel dégagé, là où les édifices en hauteur sont construits LOIN DES PENTES, et d’affirmer « qu’on doit avoir une vision d’urbanisme sur 100ans… et de créer une densité heureuse sans gratte-ciel » était vraiment inspirant.

Pourtant, semble-t-il, comme le maire l’affirme constamment, maintenant, depuis 2023, année de ce voyage à Lyon, le « contexte a changé ». Deux ans de « réflexion », un seul individu, contre deux millénaires, sans gratte-ciel près des pentes, pour une ville comme Lyon. Le maire est donc revenu de ses apprentissages, est redescendu de la « falaise de Lyon » pour redéfinir le « contexte » dans lequel les citoyens de Québec devront vivre. Depuis sa « transfiguration », il appuie le projet de l’îlot Dorchester contre la volonté des résidents : tramway oblige.

Le « fond » a prédominé sur la forme.

Revendications éclairées

« Mieux vaut allumer une bougie que maudire l’obscurité ». Les villes sont les cathédrales du XXI siècle. La cité doit refléter l’aspiration et les rêves de ses habitants; en ce sens, elle est « l’expression d’un projet partagé » constamment en développement et en redéfinition. Oui, on peut bâtir en hauteur à Québec, mais nul besoin de fourberies pour y arriver : jamais à « contre falaise ». Lors d’analyses urbaines, les falaises de Québec ont préséance sur toute nouvelle construction.

Tant que nous vivrons, nous logerons dans les falaises de Québec, le regard porté vers l’horizon et la vallée du Saint-Laurent. Nul ne nous en dérogera; nous y sommes depuis plus de 400 ans et nos enfants le seront aussi. Les falaises de Québec sont une manifestation grandiose d’un paysage millénaire qui nous lie à l’immensité même de la nature. La ville qui s’y étale nous offre une opportunité unique d’évoluer dans un environnement construit en symbiose avec les grandeurs de la vallée du Saint-Laurent. Une ville ouverte vers l’horizon et les montagnes, bien commun à développer, bien partagé, « paysage humanisé » à flanc de falaise et non à contre falaise.

À défaut de cité, abandonnés par l’administration publique, il ne nous reste que ces mots de Léo Ferré : « Les plus beaux chants sont des chants de revendication… »

Note de l’auteur : Cette lettre a d’abord été rédigée à l’intention des jeunes architectes.

Commentaires

  1. Texte d’une limpide clarté. Faudrait-il menacer de ne pas réélire le maire Marchand? C’est drôle car ce dernier, parlant récemment de la revitalisation du quartier St-Roch, disait qu’il ne faut pas essayer de faire de St-Roch une autre Haute-ville ou un autre Ste-Foy, qu’il faut respecter sa spécificité! Curieux! Alors pouquoi un gratte-ciel dans St-Roch? M. Marchand plie l’échine devant les millionnaires. Dommage, j’estimais cet homme auparavant…

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