« Tu penses que je m’en aperçois pas » -(Vigneault, 1975)
Plus de deux cents citoyens se sont déplacés afin de participer en personne à l’assemblée publique de consultation tenue le 10 avril dernier et concernant la requalification de l’îlot Dorchester dans le quartier Saint-Roch. L’auditorium de l’ENAP débordant, une vingtaine de personnes ont pris place dans une salle attenante. Un nombre substantiel de personnes additionnelles assistaient en ligne.
Suite aux présentations du promoteur et de la Ville, la période de commentaires a duré près de deux heures. Vingt-six intervenants ont pris la parole et trois seulement se sont prononcés en faveur du projet. Tel que l’expliquera ensuite en entrevue (TVA, 2025, t = 9 :24) un membre de la Coalition Dorchester, il y existe un juste milieu entre un stationnement de garnottes et une tour de dix-sept étages !
À propos de la majorité des citoyens présents en salle qui s’opposent à un projet en excès de 70 % de la hauteur maximale permise dans la réglementation d’urbanisme en vigueur à cet endroit, on les a qualifié sur le ton du reproche d’être « mobilisés et organisés » — comme s’il s’agissait d’un défaut ! Face à autant de moyens (financiers, politiques, juridiques, médiatiques) déployés par le promoteur pour faire passer son projet dérogatoire, on ne peut qu’espérer que les citoyens qui défendent la chose commune (respublica) — en place et lieu des représentants élus de la municipalité qui sont payés pour le faire — aient effectivement les yeux devant les bons trous et les pieds pas dans la même bottine !
Le rapport de force dans cette affaire est à ce point inégal que les citoyens payent au final de leur temps pour ce qui devrait aller de soi dans un État de droit, où l’administration municipale assurerait non seulement l’application de la lettre de la loi, mais aussi, et surtout, son esprit. L’actualité de ces enjeux fondamentaux en démocratie, soit ceux de la participation citoyenne et de la confiance envers les élus et les serviteurs de l’État, explique peut-être pourquoi la ministre des Affaires municipales, Mme Andrée Laforest, a lancé le 24 mars dernier une démarche auprès de la population intitulée « Consultation et approbation référendaire en aménagement et en urbanisme — Ensemble, repensons les règles de la participation citoyenne » (Gouvernement du Québec, 2025).
Ces questions sont dans l’air du temps, et d’autres citoyens dans d’autres municipalités (Radio-Canada, 2025) questionnent pareillement les entourloupettes que l’on fait à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (Gouvernement du Québec, 2024) et, notamment, son principe de participation publique. Lorsque l’on peine à comprendre la mécanique technocratique qui soustrait un projet pharaonique au test d’un référendum, il n’est pas déraisonnable pour le citoyen de soupçonner que l’intention effective est de lui en passer une petite vite. Le climat actuel de « bar ouvert au promoteur », du « tout ou rien », et de l’appel aux bons sentiments — crise du logement oblige — génère des incitatifs inquiétants, il faut se le dire !
Certes, la Commission Chabonneau (Huffpost, 2015 ) ciblait « l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction ». Mais est-ce d’aller pêcher trop loin que d’évoquer, mutatis mutandis, parmi les 60 recommandations du rapport Charbonneau, celles là qui informent avec pertinence le contexte actuel du développement immobilier et des dérogations accordées par la municipalité à la réglementation urbaine et à la planification de l’aménagement ? Ainsi, la partie 4 des recommandations, Charbonneau s’intitule « Favoriser la participation citoyenne » et sa partie 5 « Renouveler la confiance envers les élus et les serviteurs de l’État ». On est en plein dedans ! Les recommandations 55 et 56 de cette dernière partie portent sur la thématique « Resserrer les règles d’après-mandat ». À bon entendeur !
On vous garde à l’œil, les élus sortants de charge… Dans une ville qui aspire à la démocratie et à la qualité de vie, on espère bien que la volonté majoritaire aura le dessus sur les ambitions particulières et le pouvoir de l’argent.