Le monde façon John Irving

Par Francine Bordeleau
Publié le 22 avril 2025
John Irving, Les Fantômes de l’Hotel Jerome, Paris, Seuil, 2024, 992 p

Avec « Les Fantômes de l’Hôtel Jerome», John Irving rompt sept années de silence. Un retour somme toute bienvenu.

Publié voilà presque un demi-siècle (en 1978), The World According to Garp (Le Monde selon Garp) est sans conteste le livre-phare de John Irving, et l’un des grands romans de la littérature américaine contemporaine. Comment, traitant de thèmes comme le féminisme et le transsexualisme, Irving a-t-il produit un best-seller mondial ? À cela s’ajoutent d’autres sujets nullement consensuels, comme l’inceste frère-sœur assumé (L’Hôtel New Hampshire, Seuil, 1982) et l’avortement (L’Œuvre de Dieu, la part du diable, Seuil, 1986).

En fait, tout au long d’une œuvre qui recèle par ailleurs quantité d’éléments autobiographiques, Irving, fier natif de la Nouvelle-Angleterre devenu citoyen canadien en 2019, à l’âge de 77 ans, aura créé une imposante galerie de personnages atypiques mais généralement attachants. Et ce parti pris culmine dans Les Fantômes de l’Hotel Jerome, qui apparaît comme un livre-somme tant l’écrivain y a regroupé de ses leitmotivs.

L’amour, etc.

Le récit commence en 1941 avec Rachel Brewster, la mère du narrateur, et se termine en 2017, avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis. La jeune Rachel, maudite soit sa petite taille, a échoué aux épreuves de slalom d’Aspen, au Colorado, mais est tombée enceinte. Et là s’arrêteront les relations de Rachel avec la gent masculine (c’était aussi le cas de la mère de Garp), même si plus tard elle épouse un certain Elliot Barlow. Mais ce dernier étant plutôt une femme dans un corps d’homme, ceci explique cela.

C’est aussi ce qui explique qu’à l’âge de 39 ans, le narrateur Adam Brewster, devenu écrivain comme il le voulait depuis toujours, dira : « Dans ma vie, les personnes les plus aimantes et les plus aimées étaient deux couples de lesbiennes et mon beau-père, une femme transgenre. » (Elliot a subi une orchiectomie entre-temps.) Nous sommes en 1981 et Ronald Reagan, de qui vient le mantra « Make America Great Again », entame sa présidence – une présidence présentée sous l’angle LGBT et férocement critiquée par Irving. Dans son entourage, Adam est le seul hétéro, ou presque. « On peut s’aimer de bien des façons », apprendra-t-il très tôt.

C’est en partie la thèse de ce roman de près de 1000 pages et la démonstration, à force, est un peu lourde. On a parfois l’impression de se faire asséner vaille que vaille une leçon de tolérance… tout en se réjouissant de la charge portée contre l’Église catholique, les républicains ou encore les homophobes et les misogynes de tout poil.

En terrain connu

Et sinon, John Irving fait du John Irving. L’outrance des situations et la truculence sont donc au rendez vous. Tout comme le sexe, les (longues) digressions, les couples hautement improbables, les morts loufoques, les morts tragiques, la lutte (sport de prédilection d’Irving). Et toujours, la réaffirmation d’une profession de foi dans la littérature, alors que sont convoquées les mânes de Charles Dickens, d’Herman Melville (Moby Dick) et de Shakespeare. Sans doute une façon de dire que la littérature est la voie qui sauvera le monde de la barbarie.

 

 

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